VIII.
Mais à quoi bon parler des corps humains, qui n'ont été destinés à nourrir aucun animal, et qui ne doivent avoir, à l'honneur de la nature, d'autre tombeau que la terre, puisque nous voyons que le créateur n'a pas assigné aux animaux eux-mêmes les animaux de la même espèce pour nourriture, bien qu'il leur présente dans d'autres espèces l'aliment qui leur convient? Certes, si l'on peut nous démontrer que la chair humaine a été assignée à l'homme pour aliment, rien n'empêchera qu'on ne vive les uns des autres, comme de tant d'autres choses permises par la nature. Pourquoi ceux qui osent soutenir de pareilles absurdités ne font-ils pas servir à leur table, et n'offrent-ils pas à ceux qui leur sont chers, les corps de leurs intimes amis, comme les mets les plus délicieux et les plus convenables? Mais s'il y a de l'impiété seulement à tenir ce langage, quelle action plus noire, quel crime plus horrible que celui d'un homme qui se repait de chair humaine? quel mets soulève autant la nature ! D'un autre côté, s'il est vrai qu'un pareil mets ne peut alimenter le corps, et que dès lors il ne saurait s'allier à sa chair, il faut en conclure qu'on ne verra jamais la chair de l'homme s'identifier avec la chair de l'homme ; car elle est pour lui un aliment contre-nature, bien que, par suite d'une affreuse fatalité, on ait pu la manger. Ainsi, les corps humains, privés de la faculté de nourrir, et dispersés dans les parties de l'univers où ils ont pris naissance, vont s'unir de nouveau à leurs principes jusqu'au temps marqué par le créateur. Tirées de là une seconde fois, par la sagesse et la puissance de celui qui sut pourvoir chaque animal des facultés qui lui sont propres, ces diverses parties se réunissent dans leur ordre naturel, soit qu'elles aient été consumées par les flammes ou décomposées par les eaux, soit qu'elles aient été lamproie des bêtes féroces ou de tout autre animal, soit enfin qu'une partie détachée du tronc avant le temps ait précédé les autres dans la tombe. Chacune d'elles va reprendre la place qui lui fut assignée, pour recomposer le même corps et donner une nouvelle vie à ce qui était mort et tombé en dissolution. Je ne pousserai pas plus loin ce raisonnement, le temps ne me le permet pas ; d'ailleurs, tout le monde est de mon avis, tous ceux du moins qui n'auraient pas quelque affinité avec les bêtes.