CHAPITRE VI.
IL FAUT REJETER CETTE OPINION.
Si nous rejetons cette opinion, ce n’est donc pas parce que nous craignons de regarder la sainte, incorruptible et immuable charité comme l’épouse du Père, et procédant de lui, et non comme une fille destinée à engendrer le Verbe par qui tout a été fait; mais parce qu’elle est formellement démontrée fausse par l’Ecriture. Dieu dit en effet: « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance»; et ensuite peu après on lit: « Et Dieu fit l’homme à l’image de Dieu (Gen., I, 26, 27. ) » Evidemment le mot « notre », se rapportant à un pluriel, ne serait plus juste si l’homme était fait à l’image d’une seule personne, soit le Père, soit le Fils, soit le Saint-Esprit; mais comme il est fait à l’image de la Trinité, voilà pourquoi on dit : « A notre image ». D’autre part, de peur qu’on ne croie à trois dieux dans la Trinité, quand la Trinité n’est qu’un seul Dieu, on ajoute : « Et Dieu fit l’homme à l’image de Dieu », ce qui équivaut à dire : à son image.
Il y a, dans les saintes lettres, certaines locutions auxquelles quelques-uns, quoique catholiques sincères, ne font pas assez attention. Ils pensent, par exemple, que ces mots
« Dieu fit à l’image de Dieu », signifient : le Père fit à l’image du Fils. Par là ils veulent prouver que dans les saintes Ecritures, le Fils est aussi appelé Dieu, comme s’il n’existait pas des passages très-solides et très-clairs où le Fils est appelé non-seulement Dieu, mais vrai Dieu. En cherchant dans ce texte une autre solution, ils se jettent dans un embarras inextricable. En effet, si le Père a créé à l’image du Fils, tellement que l’homme ne soit pas l’image du Père, mais du Fils, le Fils n’est donc pas semblable au Père. Si au contraire la vraie foi enseigne — et elle l’enseigne — que le Fils est semblable au Père jusqu’à l’égalité d’essence, ce qui est fait à la ressemblance du Fils est nécessairement fait à la ressemblance du Père. Enfin, si le Père a fait l’homme, non à son image, mais à l’image de son Fils, pourquoi n’a-t-il pas dit : Faisons l’homme à ton image et à ta ressemblance, mais à la « nôtre? » N’est-ce pas parce que l’image de la Trinité se faisait dans l’homme, de manière à ce que l’homme fût l’image du seul vrai Dieu, parce que la Trinité elle-même est le seul vrai Dieu? Il y a une multitude de locutions de ce genre dans les Ecritures; il nous suffira de citer les suivantes.
On lit dans les Psaumes: « Le salut appartient au Seigneur, et votre bénédiction se répand sur votre peuple (Ps., III, 9) »; comme si on parlait à un autre, et non à Celui dont on
vient de dire: « Le salut appartient au Seigneur ». Et ailleurs : « C’est vous qui me sauverez de la tentation et, plein d’espérance en mon Dieu, je franchirai la muraille (Ps., XVII, 30 ) », comme si ces paroles : « C’est vous qui me sauverez de la tentation », s’adressaient à un autre. Puis: « Les peuples tomberont à vos pieds, contre le coeur des ennemis du Roi (Ps., XLIV, 6 ) », ce qui équivaut à dire: contre le coeur de vos ennemis. En effet, le Prophète avait dit au Roi, c’est-à-dire à Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Les peuples tomberont à vos pieds », et c’est ce roi qu’il entend, quand il ajoute : « Contre le coeur des ennemis du Roi ».
Ces exemples sont plus rares dans les livres du Nouveau Testament. Cependant l’Apôtre écrit aux Romains : « Touchant son Fils, qui lui est né de la race de David selon la chair, qui a été prédestiné Fils de Dieu en puissance selon l’Esprit de sanctification, par la résurrection d’entre les morts, de Jésus-Christ Notre-Seigneur (Rom., I, 3, 4 )» : comme s’il se fût agi d’un autre plus haut. Qu’est-ce en effet que le Fils de Dieu prédestiné par la résurrection d’entre les morts de Jésus-Christ, sinon le même Jésus-Christ qui a été prédestiné Fils de Dieu en puissance? Par conséquent, quand nous entendons dire: « Fils de Dieu en puissance de Jésus-Christ», ou (497) encore : « Fils de Dieu par la résurrection d’entre les morts de Jésus-Christ », alors que l’Apôtre aurait pu dire, selon le langage ordinaire : En sa puissance, ou : selon l’Esprit de sa sanctification, ou: par sa résurrection d’entre les morts, ou d’entre ses morts; quand nous lisons cela, dis-je, nous ne nous croyons point du tout obligés de supposer une autre personne, mais bien la seule et même, à savoir celle du Fils de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ. De même quand nous entendons dire: «Dieu fit l’homme à l’image de Dieu », bien qu’on aurait pu dire en termes plus conformes à l’usage : à son image, nous ne sommes point obligés de chercher une autre personne dans la Trinité, mais nous n’y voyons que la seule et même Trinité, qui est un seul Dieu et à l’image de laquelle l’homme a été fait.
- Cela établi, si nous devons chercher l’image de la Trinité , non dans un seul homme, mais dans trois, Père, Mère et Fils, l’homme n’était donc pas fait à l’image de Dieu avant que sa femme fût formée et qu’ils eussent un fils, puisqu’il n’y avait pas trinité jusqu’alors. Dira-t-on qu’il y avait déjà Trinité, puisque la femme, quoique encore privée de sa forme propre, était cependant contenue virtuellement dans le flanc de son mari, comme le fils dans les entrailles du père? Pourquoi alors l’Ecriture, après avoir dit . « Dieu fit l’homme à l’image de Dieu», ajoute-t-elle aussitôt : « Dieu le créa; il les créa mâle et femelle et il les bénit (Gen., I, 27, 28 )?» Ou bien faudrait-il distinguer et dire en premier lieu: « Et Dieu fit l’homme»; puis en second lieu : « Il le fit à l’image de Dieu »; et en troisième lieu : « il les créa mâle et femelle? » Car quelques-uns ont eu peur de dire : Il le fit mâle et femelle, pour ne pas donner lieu de croire à quelque chose de monstrueux comme sont les hermaphrodites : bien qu’on puisse en toute vérité comprendre les deux sexes en un seul mot singulier, puisqu’il est dit: « Deux dans une seule chair ». Pourquoi donc, comme je le disais d’abord, dans la nature humaine faite à l’image de Dieu, l’Ecriture ne mentionne-t-elle que mâle et femelle? Il semble que pour compléter l’image de la Trinité, il aurait fallu parler aussi du fils quoique encore renfermé dans les entrailles du père, comme la femme l’était dans le flanc du mari. Ou bien la femme était-elle déjà créée, et l’Ecriture a-t-elle dit en très-peu de mots ce qu’elle devait dire ensuite plus au long en expliquant la formation de la femme, tandis que le fils n’aurait pu être mentionné, puisqu’il n’était pas encore né? Comme si l’Esprit-Saint n’aurait pas pu renfermer aussi l’idée du fils dans ce peu de mots, en se réservant de raconter plus tard sa naissance, ainsi qu’il a raconté un peu plus bas la manière dont la femme a été tirée de l’homme (Gen., II, 24, 22 ), bien qu’il n’ait pas omis de donner ici son nom!
