La Régularité.
Ce qui tient le plus à coeur aux supérieurs de communautés, c'est la régularité, garantie de l'ordre du monastère et auxiliaire de la vertu des moines.
La fidélité à la règle exige d'ailleurs des efforts méritoires. Le cénobite a, du fait de la règle, plus d'occasions que l'ermite de contrarier sa volonté. Depuis ces temps, nous avons vu la règle solennellement canonisée en la personne de saints dont la vie n'offrait de merveilleux que la constante et parfaite fidélité.
La perfection est donc à la portée de tous les religieux, et, nous pouvons dire, de tous les chrétiens qui s'imposent un règlement de vie.
Je veux vous rapporter en un mot les grands avantages que je trouve ici, afin que vous jugiez vous-mêmes s'ils égalent ceux que j'ai quittés dans la solitude et que vous reconnaissiez ensuite si c'est l'ennui et le dégoût de la vie hérémétique qui m'y a fait renoncer, ou plutôt le désir de trouver dans la vie commune de cette maison, la pureté que je cherchais dans le désert. On n'a point ici l'embarras de rien prévoir pour le travail de chaque jour. On n'est point occupé du soin ni de vendre, ni d'acheter. On est délivré de cette nécessité inévitable de faire au moins sa provision de pain. On n'a aucune de ces inquiétudes pour ce qui regarde le corps, que l'on ressent si souvent dans les déserts, non seulement pour soi en particulier, mais encore pour ceux qui nous viennent voir.
Enfin, on n'est point ici exposé à la vanité qui corrompt plus un solitaire que tout ce que je viens de dire et qui rend inutiles tous ses travaux. Mais pour ne me pas arrêter à ces tentations d'orgueil, qui attaquent si dangereusement les anachorètes, je ne veux considérer que ce qui est commun et général à tous les solitaires, c'est-à-dire ce soin qu'ils ont tous de se préparer leur nourriture. Cela passe aujourd'hui dans un tel excès, que bien loin de se contenter de cette simplicité de nos pères qui s'abstenaient d'huile pour toujours, on ne se contente pas même de ce relâchement qui s'est introduit en nos jours où avec une livre et demie d'huile et une petite mesure de lentilles, ou avait de quoi recevoir le long de l'année tous les survenants. On double maintenant, et on triple toutes ces mesures et après cela, on a encore bien de la peine de fournir à notre vivre. On est si relâché en ce temps, qu'en mêlant le vinaigre avec la saumure, on ne se contente plus d'y verser une petite goutte d'huile, comme nos pères qui pratiquaient si bien l'abstinence des déserts et qui n'usaient d'huile, que pour ne pas donner lieu à la vaine gloire. On coupe en petites tranches les fromages d'Égypte dont on se sert pour délices et on y répand ensuite beaucoup plus d'huile qu'il ne faudrait. Ainsi on mêle deux choses qui avaient chacune leur douceur et qui pouvaient séparément et en divers temps, nourrir agréablement un solitaire, pour n'en faire plus qu'un seul mets et le rendre plus délicieux.
On se met tellement en possession de plusieurs choses, qu'on a même aujourd'hui dans la cellule quelque étoffe pour se couvrir, sous prétexte de s'en servir pour recevoir ceux qui surviennent. Je ne dis rien de ce qui paraît le plus insupportable à une âme toujours abîmée en Dieu et dans les choses saintes, qui est cette foule de survenants et cet embarras continuel de visites; ce soin de recevoir et de conduire nos hôtes, cet engagement à leur rendre des visites réciproques, enfin ces entretiens vagues et tous ces discours et occupations inutiles. (Coll., XIX, 6. P. L., 49, 1132.)
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Si vous voulez bien savoir ce que c'est que de se contenter de ce que je viens de dire, éprouvez-le longtemps, et gardez ce régime inviolablement, sans y ajouter rien de cuit ni les jours du dimanche ou du sabbat, ni à l'occasion des frères qui vous viennent voir. Car ces petits extraordinaires soutiennent beaucoup le corps, et le mettent en état de se contenter les autres jours d'une moindre quantité de nourriture et quelquefois même de s'en passer tout à fait sans incommodité; parce que les viandes que l'estomac a prises dans ces rencontres, lui donnent assez de force pour se passer du reste.
Mais celui qui se sera réglé à ne prendre que ces deux pains, ne pourra certainement se passer à moins un seul jour. Je sais combien nos anciens, et je puis dire la même chose de moi-même, ont souffert autrefois en se voulant contenter de ce régime, et qu'ils se sont fait pour cela une telle violence, qu'ils ne s'imposaient qu'à regret en quelque sorte et non sans peine et sans tristesse, une abstinence si rigoureuse. (Coll., II, 21. P. L., 49, 553.)
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Il est aussi très sévèrement défendu à tous les frères d'oser rien manger hors de la table devant ou après l'heure réglée pour prendre tous ensemble leur nourriture. Lorsqu'ils vont dans les jardins où les fruits pendent aux arbres et qu'étant non seulement sous la main, mais encore sous les pieds de tous ceux qui passent, ils tentent par cette abondance et par cette facilité les plus austères même et les plus abstinents à les désirer, ils croiraient néanmoins faire un sacrilège non seulement d'en manger, mais de les toucher de la main, et ils ne touchent jamais qu'à ceux que l'économe fait servir au réfectoire pour toute la communauté. (Inst., IV, 18. P. L., 49, 177.)