Dispositions nécessaires pour acquérir la discrétion.
La défiance de ses propres idées; l'intelligence prête à se soumettre.
Car il me souvient que lorsque la jeunesse me retenait encore dans le monastère, nous avions quelquefois des pensées sur l'Écriture, ou sur des sujets de morale, dont la vérité nous paraissait si évidente, que nous n'en pouvions douter. Mais lorsqu'ensuite nous nous en entretenions avec nos frères, il arrivait qu'en les examinant entre nous, quelqu'un d'abord y découvrait quelque chose ou de faux ou de dangereux, et que tous ensuite les condamnaient comme des erreurs pernicieuses. Cependant c'était des choses que l'artifice du démon avait rendues si probables et si spécieuses qu'il se fût aisément élevé quelque division entre nous, si nous n'eussions observé inviolablement cette loi divine de nos anciens, qui nous défend de nous attacher à nos sentiments, et de croire plus notre jugement; que celui de notre frère, si nous voulons n'être jamais exposés aux tromperies de notre ennemi.
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Car nous n'avons que trop d'expérience, combien il arrive souvent ce que saint Paul a prédit, que le démon se transforme en ange de lumière pour éblouir nos yeux et nous faire passer l'erreur et les ténèbres pour la vérité et la lumière. C'est pourquoi, si nous ne recevons ces sentiments avec une profonde humilité et en tremblant et si nous n'en laissons le jugement à la lumière de nos supérieurs et des personnes très sages et très éclairées, afin de les recevoir ou les rejeter selon qu'ils nous l'ordonneront, nous tomberons indubitablement dans l'erreur et, révérant dans nous-mêmes l'ange des ténèbres comme un ange de lumière, nous serons frappés d'une plaie qui nous donnera la mort. C'est un malheur inévitable à celui qui s'appuie sur son propre jugement, s'il ne se corrige de ce vice, pour devenir un fidèle disciple de l'humilité, en pratiquant avec un coeur contrit et humilié, ce que saint Paul désire des chrétiens en disant : « Accomplissez ma joie, étant tous unis ensemble dans les mêmes pensées, ayant tous un même amour, une même âme et les mêmes sentiments. Ne faites rien par un esprit de contention et de vaine gloire, mais entrez dans un esprit d'humilité qui vous fasse regarder vos frères comme vos supérieurs. Et prévenez-vous les uns les autres en honneur et en déférence, afin que chacun croie que son frère est plus sage et plus saint que lui et qu'il a plus de lumière et de discrétion que lui-même n'en peut avoir, pour juger de la vérité des choses. (Coll., XVI, 10, 11. P. L., 49, 1054.)
Don intérieur de discernement; lumières du ciel directement données à l'âme.
Il y a dans l'âme qui a été renouvelée par le baptême et par l'infusion du Saint-Esprit, un sentiment tout spirituel, c'est-à-dire une lumière de discrétion, qui nous fait juger selon Dieu et par l'Esprit de Dieu de tous les objets des sens. Or, on peut dire que cette lumière spirituelle est en partie dans nous et en partie hors de nous, parce qu'ayant deux hommes en nous, l'un spirituel et l'autre charnel, elle n'est connue qu'à" l'homme spirituel et elle est inconnue à l'homme charnel. C'est pourquoi, comme elle est cachée et enveloppée dans les nuages que forment nos passions, nous ne devons jamais cesser de la rechercher, puisque lorsque l'Esprit de Dieu aura dissipé en nous tous ces nuages qui obscurcissaient cette lumière et ce sentiment spirituel, qui juge des choses séton la raison divine, nos sens extérieurs n'auront plus la force de nous émouvoir par les attraits des objets sensibles. Et c'est ce qui a fait dire à un homme éclairé de la sagesse du ciel : Vous trouverez dans vous un sens divin. (Clim.,XXVI, 22. P. G., 88, 1020.)
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Celui qui est parfaitement purifié voit par une vue intellectuelle l'état et les dispositions de l'âme de son prochain quoiqu'il ne voie pas l'âme même; mais celui qui n'est pas encore arrivé à une haute perfection, ne juge de l'état des âmes que par les signes et les marques extérieures qui paraissent sur le corps. (Clim., XXVI, 95. P. G., 88, 1033.)
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Celui qui par l'illumination divine possède Dieu en soi-même, reçoit d'ordinaire sur le champ une assurance de ce que Dieu veut qu'il fasse, tant dans les affaires pressantes que dans celles qui peuvent souffrir du retardement. Et il reçoit cette assurance comme cet autre dont nous venons de parler, par le secours imprévu qui lui vient du ciel.
C'est une marque qu'un esprit n'est pas éclairé de la lumière divine et qu'il est rempli de vanité, lorsque demeurant irrésolu dans ses jugements, il est longtemps sans se déterminer à prendre quelque parti1. (Clim., XXVI, 115, 116. P. G., 88, 1060.)
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« Par le discernement des esprits nous n'entendons pas la prudence, vertu qui fait examiner chaque chose sous toutes ses faces, et prendre ensuite le parti le plus sage, vertu que Mme Acarie, suivant la déclaration de Pie VI, pratiqua dans un degré héroïque. Nous entendons la facilité de discerner en soi-même ou dans les autres, les opérations de pieu d'avec celles du démon ou de la nature : et nous considérons cette facilité non pas comme étant l'effet de l'expérience qu'une âme a acquise dans les voles intérieures, mais comme étant l'ouvrage dis Saint-Esprit qui lui donne une subite inspiration… » Vie de Mme Acarie, par J. B. Boucher, Paris, 1892. ↩