L'abbé Nestéros expose le commandement nouveau.
Nous voyons de même dans l'Évangile, qu'étant prêt de retourner à son Père et voulant laisser auparavant à ses disciples, comme son testament et sa dernière volonté, il leur dit : « Je vous fais un nouveau commandement, qui est de vous entr'aimer les uns les autres comme je vous ai aimés. C'est en cela, dit-il, aussitôt, qu'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres. » Il ne dit pas si vous faites des miracles, mais si vous avez de l'amour les uns pour les autres ; ce qu'il est certain qu'on ne peut faire sans être comme lui, doux et humble. C'est pourquoi, nos Pères n'ont jamais cru que des religieux fûssent véritablement dans la piété et exempts de la vaine gloire, lorsqu'ils faisaient profession devant les hommes de chasser les démons et qu'ils publiaient dans le peuple par une vanité insupportable le don qu'ils avaient en effet, ou que leur présomption leur faisait croire qu'ils avaient reçu. Celui, dit l'Écriture, qui s'appuie sur le mensonge repaît les vents et il court après les oiseaux qui volent. Et il arrivera à ces personnes, ce qui est encore marqué dans les Proverbes : « Comme les vents, les nuées et la pluie se font visiblement reconnaître, de même ceux qui se glorifient dans un faux don. » Si donc nous voyons quelqu'un qui ait reçu cette grâce, nous devons estimer en lui non la grandeur de ses miracles, mais la sainteté de sa vie et nous ne devons pas considérer si les démons lui sont assujettis, mais s'il est rempli de cette charité dont saint Paul a décrit les effets et qu'il met au-dessus de tous les dons. (Coll., XV, 7. P. L., 49, 1003.)
Saint Jean s'excusait de répéter : « Aimez-vous les uns les autres », en disant : « C'est le précepte du Seigneur. » Bisarion s'excuse de sa nudité complète : «Voilà celui qui m'a dévêtu », dit-il, en montrant son volume des Evangiles, dont il va d'ailleurs se dépouiller pour en donner le prix aux pauvres.
Il y avait un saint vieillard, nommé Bisarion, qui n'ayant point de bien était extraordinairement charitable. Il n'avait pour tous habits, suivant la tradition de l'Évangile, qu'une tunique avec un petit manteau, et il partait toujours sous son bras le saint Evangile, soit pour connaître par là s'il obéissait exactement aux commandements de Dieu, ou qu'il voulût toujours avoir la règle qu'il désirait si fort accomplir. Tout le cours de sa vie a été si admirable, que quand il aurait été un ange du ciel, il n'aurait pas vécu plus parfaitement sur la terre.
Arrivant un jour dans un village, il vit en la place publique un pauvre qui était mort, et tout nu. Aussitôt il quitta son petit manteau, et l'en couvrit. Étant passé un peu plus avant, il vint à lui un autre pauvre tout nu. Sur quoi s'étant arrêté, il commença à délibérer, et à raisonner ainsi à soi-même : « Est-il juste qu'ayant, comme j'ai fait, renoncé au monde, je sois vêtu, et que mon frère gèle de froid? Et ne serai-je pas cause de sa mort, si je le laisse mourir de la sorte ? Que ferai-je donc? Dépouillerai-je ma tunique pour la diviser en deux, et lui en donnerai-je une partie? ou la donnerai-je tout entière à celui que Dieu a créé à son image ? Mais si je la divise, de quoi nous pourra servir à lui et à moi de n'en avoir chacun qu'une partie ? et quel mal me pourra-t-il arriver, si dans l'exercice de la charité je vais au delà de ce que Dieu me commande? » Ce généreux soldat de Jésus-Christ ayant ainsi discouru en soi-même, il se résolut avec joie d'appeler ce pauvre sous un porche, où il se dépouilla pour le revêtir, et ainsi demeurant nu, il s'assit en se couvrant de ses mains, et en croisant les genoux, sans qu'il lui restât autre chose que cette divine parole, qui enrichit ceux qui la pratiquent, laquelle il portait sous son bras. La Providence de celui de qui elle procède fit que l'intendant de la Justice passant par là reconnut le saint vieillard, et dit à un de ceux qui l'accompagnaient : « N'est-ce pas là le bon père Bisarion? » lui ayant été répondu que oui, il descendit de cheval et dit au saint : « Qui vous a ainsi dépouillé, mon Père? » — « C'est celui-ci, lui répartit Bisarion, en lui montrant le saint Évangile. » Aussitôt l'Intendant quittant son manteau le mit sur les épaules de ce fidèle serviteur de Jésus-Christ, qui se retira à l'écart pour fuir la louange de celui qui était témoin de la bonne action qu'il avait faite, dont il ne voulait point d'autre récompense que celle que Dieu lui donnerait en secret lorsqu'il se cacherait au yeux des hommes.
Après avoir observé de la sorte tous les préceptes de l'Évangile, dont le parfait accomplissement était la seule chose qui remplissait. son esprit, il rencontra en passant un pauvre, auquel n'ayant rien à donner il courut dans la place publique, où il vendit son livre des Evangiles, afin de lui faire la charité. Peu de jours après, son disciple nommé culas lui disant : « Qu'avez-vous fait de votre livre, mon Père ? » Il lui répondit avec un visage gai : « Ne vous fâchez point, mon frère, si par la confiance que j'ai aux promesses de Jésus-Christ, et par l'obéissance que je lui veux rendre, j'ai vendu le livre même où sont écrites ces paroles qui me disaient sans cesse : « Vends tout ce que tu as, et le donne aux pauvres. » Ce saint a fait plusieurs autres actions de singulière vertu; et Dieu veuille par sa grâce nous rendre dignes de participer un jour avec lui aux félicités éternelles. (Hist. Laus., 116. P. L., 73, 1198.)