La Fuite des dignités.
A quand remonte la tradition, suivie de nos jours dans l'église copte, de prendre les évêques dans les monastères ? Les premiers moines ne pensaient pas à devenir prêtres ; la haute idée qu'ils avaient de l'état sacerdotal leur faisait fuir cet honneur. Ils y étaient traînés parfois par violence.
Pacôme défendait que les moines fussent élevés au sacerdoce. S'il n'y en avait point parmi eux, qui eût été ordonné avant d'entrer au monastère, ils allaient communier à l'église du village, ou bien un prêtre du dehors venait chez eux.
A Nitrie c'étaient des frères qui remplissaient les fonctions de chapelain et cette pratique devint ensuite celle des monastères Pacômiens.
C'est pourquoi jusqu'ici nos pères ont tous généralement donné un avis que je ne puis rapporter sans rougir moi-même, puisque je n'ai pu me défendre de ma soeur, ni m'éviter de tomber entre les mains d'un évêque. Tous nos anciens, dis-je, ont cru qu'un solitaire devait absolument fuir les femmes et les évêques. Quand il se laisse engager dans la familiarité de l'une ou de l'autre de ces deux sortes de personnes, il ne peut plus demeurer ensuite dans le repos de sa cellule, ni s'attacher à la divine contemplation, par la continuelle méditation des choses saintes. (Inst., IX, 17. P. L., 49, 418.)
*
- *
Un nommé Acepsime dont la réputation est répandue par tout l'Orient, vécut en ce même temps. Il s'enferma dans une petite maison, sans voir et sans parler à personne, et veillant continuellement sur soi-même, il mettait toute sa consolation à s'entretenir avec Dieu, selon cette parole du Prophète : Réjouissez-vous au Seigneur et il ne vous refusera rien de ce que vous lui demanderez. Il recevait ce qu'on lui donnait pour vivre par un petit trou qui n'était pas percé tout droit, mais obliquement afin qu'on ne pût voir à travers dans le lieu où il était, et cette nourriture n'était que des lentilles trempées dans l'eau qu'on lui portait une fois chaque semaine. Quant à l'eau, il sortait la nuit pour en aller puiser dans une fontaine proche de là, autant qu'il en avait besoin.
Quand il fut sur le point de sortir de cette vie, il dit qu'il mourrait dans cinquante jours, et permit alors à tous ceux qui le désiraient de venir le voir. L'évêque même y étant venu le pria très fort de vouloir bien qu'il le fît prêtre, en lui disant : « Je n'ignore pas, mon père, quelle est l'éminence de votre vertu, et ma grande misère, mais c'est par l'autorité de la charge épiscopale, et non par mon indignité que je confère le sacerdoce, recevez-le donc, je vous prie, en ce qui en apparaît au dehors par le ministère de mes mains, mais en effet par l'efficacité de la grâce du Saint-Esprit. » Le saint lui répondit : « N'ayant plus à vivre que peu de jours, je ferai ce qu'il vous plaira ; que si j'avais à demeurer encore dans le monde, je refuserais absolument de me charger du fardeau si pesant et si redoutable du sacerdoce, 'ne pouvant penser sans trembler au compte qu'il faut rendre à Dieu d'un tel dépôt. Mais puisque comme j'ai déjà dit, je suis sur le point de tout quitter pour passer dans une autre vie, je vous obéirai très volontiers. » Ainsi, sans que personne l'y contraignît, il se mit à genoux pour recevoir une grâce si importante, et l'évêque lui imposa les mains afin qu'il fût rempli du Saint-Esprit. (Théod., 15. P. L., 74, 73.)
*
- *
Le saint abbé Mutuès étant venu de Ragithan en Gebalin avec son disciple, l'évêque du lieu l'arrêta et le fit prêtre contre son gré. Puis il lui dit : « Pardonnez-moi, je vous prie, mon père, car je n'ignore pas que je vous ai fait violence; mais le désir que j'avais de recevoir votre bénédiction eh a été cause. » Le saint vieillard lui répondit avec son humilité ordinaire : « Il est vrai que je ne le désirais nullement, et ce me sera aussi une grande peine de ce que cela me séparant du frère avec qui je suis, je ne pourrais pas faire seul mes prières accoutumées. » —« Si vous le jugez digne du sacerdoce, lui repartit l'évêque, je l'ordonnerai aussi prêtre. » — « Je ne sais pas, lui répliqua le saint homme, s'il en est digne, mais je sais bien qu'il vaut mieux que moi. » L'évêque en suite de ces paroles, ordonna aussi ce frère prêtre. Mais saint Mutuès et lui ne montèrent jamais à l'autel pour y consacrer. Sur quoi le saint disait quelquefois : u Par la miséricorde de Dieu, je n'aurai pas grand compte à lui rendre à cause de cette ordination, puisque je n'ai jamais osé entreprendre de consacrer son divin Corps, ce qui n'appartient qu'à ceux qui sont si purs et si justes qu'ils sont entièrement irrépréhensibles : mais quant à moi, je me connais bien. » (Pélage, XV, 97. P. L., 73, 959.)
*
- *
Lorsque, selon la coutume, les fêtes solennelles voulaient qu'ils reçussent la sainte communion, ils faisaient venir des prêtres des bourgs les plus proches pour recevoir par leur moyen cette joie spirituelle. Car saint Pacôme ne voulait pas souffrir qu'un seul d'entre eux fût prêtre, disant qu'il était beaucoup meilleur et plus avantageux pour des solitaires, non seulement de ne rechercher aucun degré d'honneur et de gloire, mais d'en retrancher même parmi eux toutes les occasions, d'autant que cela fait souvent naître entre les frères des contestations et des jalousies dangereuses. Car, comme une étincelle de feu lorsqu'elle tombe dans une moisson, ne s'éteint pas aussitôt, mais réduit quelquefois en cendre tout le revenu d'une année, ainsi lorsqu'il se glisse dans l'esprit des solitaires une funeste pensée d'ambition qui les porte à désirer d'être préférés aux autres, ou d'être ecclésiastiques, s'ils ne chassent promptement de leur coeur cet ardent désir dont ils sont tentés, ils perdent l'esprit de piété qu'ils ont acquis par tant de travaux et tant de veilles. Ce qui fait qu'ils doivent avec une extrême douceur et une grande pureté de conscience révérer les ecclésiastiques qui sont dans la communion de l'Eglise, comme une chose qui leur est fort avantageuse, sans désirer de s'élever à aucune dignité. « Que s'il arrive, disait-il, qu'il y ait des solitaires, qui longtemps auparavant aient été faits prêtres par les évêques, servons-nous de leur ministère plutôt que d'un autre. ».
Saint Pacôme non seulement disait ces choses avec un grand zèle, mais il les observait exactement. Et lorsque quelque ecclésiastique le venait trouver pour vivre sous sa règle, il rendait l'honneur qu'il devait à l'Eglise en respectant son caractère; et l'autre de son côté s'assujettissait à la manière de vivre des solitaires, et lui obéissait comme à son père avec une très grande humilité. (Vit. Pac., 24. P. L., 73, 244.)