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Si l'apôtre en a dit plus que son sujet ne le demandait, ne soyez pas surpris : il imite son maître en cela. En effet, Jésus-Christ lui-même voulant montrer la concorde qui l'unit à celui qui l'a engendré, prouver que son avènement n'est qu'un effet de la volonté de son Père, descend dans dès explications mesurées non sur la nécessité de démontrer la concorde, mais sur la faiblesse de. ceux auxquels il s'adresse. Il prie son Père uniquement dans cette intention, et il motive sa prière en disant : « Afin qu'ils croient que c'est vous qui m'avez envoyé ». (Jean, XI, 42.). Donc Paul suit cet exemple, et il emploie ici l'abondance des paroles, non de manière à faire imaginer qu'il puisse y avoir un assujettissement par contrainte, loin de nous cette pensée, mais de manière à exterminer victorieusement ces croyances absurdes. Car lorsqu'il veut extirper une erreur, sa parole est toujours surabondante. C'est ainsi qu'en parlant de la femme fidèle et du mari infidèle unis par le mariage, pour prévenir la pensée que la femme est souillée par son commerce et ses rapports avec l'infidèle, il ne se borne pas à dire que la femme n'est pas impure, n'est eu rien atteinte par son union avec l'infidèle, il dit, ce qui est beaucoup plus expressif, qu'elle sanctifie. l'infidèle (I Cor. VII, 14) ; ce n'est pas qu'il veuille montrer que le païen, grâce à elle, devient un saint, mais il exagère l'expression pour dissiper la crainte de là femme. De même ici, c'est pour en finir avec une croyance impie qu'il force l'expression. Soupçonner le fils d'impuissance, c'est le comble du dérèglement d'esprit : c'est pour prévenir ce délira, que l'apôtre dit : « Il mettra tous ses ennemis sous ses pieds; » oui, mais maintenant il y. aurait encore plus d'impiété à croire que le Père est moindre que le Fils. Aussi l'apôtre ruine-t-il cette erreur sacrilège sous une argumentation surabondante. Voyez ce qu'il fait : il ne se contente pas de dire : « Il faut en excepter celui qui lui a assujetti », mais il a bien soin de dire, d'abord : « Il est évident qu'il faut », c'est une manière de confirmer, de corroborer une vérité, quoiqu'elle ne soit nullement contestée.
Et pour que vous compreniez bien que c'est là la raison de toute cette argumentation, je vous demanderai s'il y a alors accroissement de sujétion pour le Fils. Absurdité, état indigne de la divinité ! la plus grande sujétion, l'obéissance la plus abaissée qu'il ait fait paraître, c'est tout Dieu qu'il est, de prendre la forme d'un esclave. Quel moyen donc de croire qu'alors il sera assujetti ? Voyez-vous que Paul n'a pas voulu autre chose, en ajoutant cette observation, que dissiper une imagination absurde, et qu'il s'y est pris comme il convenait? Il est question ici de l'obéissance qui convient au caractère de Fils, au caractère de Dieu , rien d'humain là dedans, pleine liberté, pleine puissance. Autrement expliquez comment il partage le trône de Dieu; comment, ainsi que le Père, il ressuscite ceux qu'il lui plaît (Jean, V, 21) ; comment tout ce qui est à son Père est à lui, et tout ce qui est à lui est à son Père (Jean, XVII, 10). Voilà qui montre la parfaite égalité de la pleine puissance entre le. Fils et celui qui l'a engendré. Mais que signifie : « Lorsqu’il aura remis son royaume? » L'Ecriture parle de deux royaumes de Dieu : l'un fondé sur l'union intimé et familière avec lui ; l'autre, sur la création. Dieu est le roi de tous les peuples, et des Grecs, et des Juifs, et des démons, et de tous les révoltés, cette royauté (574) ressort de la création; il est le roi des fidèles, de ceux qui se soumettent volontairement à lui, cette royauté ressort de l'union intime et familière. Cette royauté aussi a son empire que reconnaît l'Ecriture , car c'est d'elle qu'il est dit dans le second des psaumes
« Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage » (Ps. II, 8) ; c'est d'elle encore que parle Jésus, disant à ses disciples : « Toute puissance m'a été donnée par mon Père ». (Matth. XXVIII, 18.) S'il attribue tout à celui qui l'a engendré, ce n'est pas qu'il soit de lui-même insuffisant, mais il veut montrer qu’il est le Fils, qu'il n'est pas non engendré. Donc cette expression qu'il remet son royaume, signifie qu'il accomplit ce qu'il faut.
Mais pourquoi l'apôtre ne dit-il rien du Saint-Esprit? C'est parce que le sujet présent ne comportait pas une mention du Saint-Esprit, et que l'apôtre n'a pas l'habitude de confondre les questions: Ainsi quand il dit : « Il n'y à qu'un seul Dieu le Père, et qu'un seul Seigneur Jésus » (I Cor. VIII, 6), s'il garde le silence sur le Saint-Esprit, ce n'est pas du tout qu'il le croie d'un rang inférieur, mais c'est qu'il n'avait pas sujet d'en parler. Il lui arrive de ne faire mention que du Père, et nous n'irons pas pour Gela rejeter le Fils ; il lui arrive de ne nommer que le Fils et le Saint-Esprit, et nous n'irons pas pour cela dépouiller le Père de sa divinité: Mais maintenant; que signifie: « Afin que Dieu soit tout en tous?» Afin que tout dépende de lui. Il ne faut pas s'imaginer qu'il y a deux principes sans principe, qu'il y a division dans la royauté; car lorsque les ennemis du Fils seront abattus sous ses pieds, comme il ne peut y avoir aucun soulèvement du Fils contre celui qui l'a engendré, comme la perfection de la concorde règne entre eux, alors Dieu sera tout en tous. Maintenant quelques personnes veulent que . Paul ait entendu par là que le vice sera aboli, vu que tous désormais céderont à la volonté de Dieu, sans qu'aucun lui résiste, et commette de mauvaises actions. Et en effet; il n'y aura plus de péché, d'où il suit évidemment que Dieu sera tout en tous. Mais s'il n'y a pas de résurrection des corps, comment comprendre cette vérité? Voici que l'ennemi le plus acharné de tout ce qui a vie, la mort, subsisté, ayant mené son oeuvre à la fin qu'elle a voulu. — Non pas, réplique-t-on, car il n'y aura plus de pécheurs. — Et qu'importe? Il n'est pas ici question de la mort de l'âme, mais de celle du corps. Comment donc la mort corporelle est-elle détruite? Ce qui constitue la victoire, c'est le recouvrement de ce qu'on avait perdu, de ce qu'on s'est vu retenir. Si les corps sont retenus dans la terre, la tyrannie de la mort persiste, puisqu'elle retient ces corps, et que nous n'avons pas d'autres corps. où nous puissions la vaincre. Mais s'il arrive ce que dit Paul, et ce, qui certes doit arriver, la victoire sera éclatante pour le Dieu capable de ressusciter ce que la mort retenait, à savoir nos corps. Vaincre l’ennemi, cela veut dire qu'on le dépouille, et non pas qu'on lui laisse tout ce qu'il a pris; si au contraire personne n'ose dépouiller l'ennemi, comment dire que l'en nemi est vaincu?
