14.
Les Pélagiens soutiennent que «les Apôtres et les Prophètes n'ont à nos yeux qu'une sainteté incomplète, c'est-à-dire qu'ils nous paraissent simplement comme moins mauvais, en comparaison de ceux que «nous regardons comme plus coupables et plus criminels. Et telle serait la justice à laquelle le Seigneur rend témoignage ; de même donc que, selon le Prophète, Sodome était sainte en comparaison des Juifs1, de même, en comparaison de plus grands criminels, nous portons l'indulgence jusqu'à dire de ces saints qu'ils ont pratiqué quelque vertu ». Loin de nous un semblable langage. Ce que nous enseignons, ou bien ils ne peuvent le comprendre, ou bien ils ne daignent pas l'étudier, ou bien ils le dissimulent afin de calomnier plus à leur aise. Qu'ils nous écoutent donc, sinon eux, du moins ces hommes simples et ignorants qu'ils cherchent à séduire et à tromper. Notre foi, ou plutôt la foi catholique, discerne les justes d'avec les impies, non pas d'après la loi des oeuvres, mais d'après la loi même de la foi, car le juste vit de la foi. De ce discernement il résulte que tel homme qui ne commet ni l'adultère, ni le vol, ni le faux témoignage, qui n'envie pas le bien d'autrui, qui rend à ses parents le respect qu'il leur doit, qui pousse la continence jusqu'à s'abstenir de tout commerce charnel, même conjugal, qui fait d'abondantes aumônes, qui pardonne à ses ennemis, qui non-seulement ne prend pas le bien d'autrui, mais ne réclame même pas celui qui lui a été volé, qui vend ses biens et en donne le prix aux pauvres, qui se dépouille de tout et ne possède rien en propre, que cet homme, dis-je, malgré l'honnêteté de ses mœurs, sortira de ce monde pour être éternellement condamné s'il n'a pas en Dieu la foi véritable et catholique. Tel autre, au contraire, accomplit les bonnes oeuvres par la foi droite qui agit par la charité, mais il est encore loin d'avoir dompté toutes ses passions, l'honnêteté du mariage limite son incontinence, il rend et demande le devoir conjugal, non-seulement en vue de la génération, mais aussi pour satisfaire sa volupté, l'Apôtre n'accorde cela que par condescendance[^1]; ce même homme n'est pas si patient en face des injures qu'il ne s'irrite parfois dans le désir de la vengeance, ce qui n'empêche pas cependant qu'il n'accorde le pardon qui lui est demandé, afin qu'il puisse dire : «Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés2 »; il possède une fortune plus ou moins grande, avec laquelle il fait des aumônes, mais bien inférieures à celles dont nous parlions tout à l'heure ; il ne prend pas le bien d'autrui, mais il réclame ce qui lui a été pris, non pas sans doute devant les tribunaux civils, mais devant les tribunaux ecclésiastiques. Assurément de ces deux hommes le dernier mène extérieurement une vie inférieure à celle du premier, mais en raison de la foi droite qu'il a en Dieu et dont il vit, selon laquelle il s'accuse dans toutes ses fautes, selon laquelle il loue Dieu dans toutes ses bonnes oeuvres, lui attribuant la gloire et à soi-même l'ignominie, selon laquelle enfin il demande sans cesse à Dieu le pardon de ses péchés et l'amour des bonnes oeuvres, je dis que ce dernier meurt dans la grâce et régnera avec les élus de Jésus-Christ. Cette différence entre la destinée de ces deux hommes ne vient-elle pas de la foi ? Sans doute, la foi sans les oeuvres ne saurait sauver personne, mais nous parlons de la foi qui agit par la charité; cependant c'est la foi qui est la condition nécessaire de la rémission des péchés, car le juste vit de la foi; sans elle aussi ces oeuvres qui paraissent bonnes, se changent souvent en péchés; car tout ce qui n'est pas selon la foi est péché[^4]. Voyez de quelle importance est cette distinction. Personne ne doute que l'intégrité virginale ne soit plus précieuse que la chasteté conjugale, et cependant une femme catholique mariée deux fois l'emporte beaucoup sur une vierge hérétique, fût-elle consacrée; et remarquez qu'il ne s'agit pas ici d'une simple prééminence dans le royaume des cieux, car la vierge hérétique n'y entrera pas. Et de ces deux hommes dont j'ai parlé, si celui qui l'emportait par les moeurs avait la foi véritable, sa gloire au ciel surpasserait assurément celle de l'autre, quoique tous deux y soient admis ; au contraire, s'il n'a pas cette foi véritable, il devient tellement inférieur à l'autre qu'il n'entre même pas au ciel.
- I Cor. VII, 6.
- Rom. XIV, 23.