V. — Les sujets de méditation.
Nous aurions un moyen de pénétrer la prière intime des Pères s'ils nous avaient laissé un cours suivi de méditations. En effet les écoles de spiritualité peuvent être distinguées par les mystères auxquels leur attention va de préférence, et il est aisé en parcourant un livre de méditations de reconnaître la famille d'âmes à laquelle appartient l'auteur, et les maîtres qu'il a fréquentés.
Mais ni les laïcs ni les moines de ces temps n'avaient à leur service de pareils mentors, pas plus que des manuels de retraite.
La traduction de leur discours intérieur est encore incomplète et imparfaite.
Les grandes vérités, la mort, la fin des temps, le châtiment éternel, sont plus souvent rappelés, sans doute parce que plus faciles à exposer et plus aptes à frapper les esprits.
C'est le thème habituel des exhortations qui nous ont été livrées.
Nous savons que l'aliment ordinaire de leur piété était l'Ancien et le Nouveau Testament. Mais nous ne la voyons pas occupée du détail des scènes de la vie de Jésus, comme le sera la dévotion du moyen âge dans « les Méditations de la vie du Christ ».
La personne du Sauveur est présente à leur pensée, nous l'entendons invoquée dans les moments critiques du combat « Donnez-moi, ô Jésus-Christ, mon cher Maître, dit Euloge, la patience qui m'est nécessaire pour supporter cet estropié. » Antoine chasse les démena en son nom. Salaman, que se disputent deux villages, répète : « Je suis attaché à la croix avec Jésus-Christ. » L'abbé Isaac veut que le moine comme un hérisson spirituel se tienne à l'abri sous la pierre évangélique, c'est-à-dire qu'il se renferme dans le souvenir de la Passion de Jésus-Christ. Nous avons donc les témoignages multiples des relations habituelles des solitaires avec la personne du Verbe Incarné mais nous n'avons pas la confidence de leur conversation. Constatons une fois de plus qu'il ne faut pas juger seulement des sentiments profonds d'un homme ou d'un âge par ce qui nous est laissé d'écrit, et que des silences ne doivent pas nous faire déprécier la prière des simples et des temps primitifs.