Héroïsme des porteurs de figues.
Il arriva qu'un jour une personne vint dans un transport d'admiration apporter à l'abbé Jean, qui était alors économe dans le désert de Scété, quelques figues qui étaient venues dans la Libye comme un miracle dont on n'avait jamais rien vu de semblable dans ces lieux. Ce saint homme Jean qui servait l'église du temps du bienheureux Paphnuce, qui lui avait lui-même donné ce soin, envoya aussitôt ces fruits par deux jeunes religieux à un vieillard fort infirme qui demeurait dans le fond du désert, et qui était éloigné de 18 milles de l'église.
Ces jeunes hommes ayant reçu ces figues se mirent en chemin pour aller à la cellule de ce vieillard ; mais il survint tout à coup une nuée si épaisse qu'ils perdirent la trace d'un petit sentier qu'ils devaient suivre, ce qui eut pu arriver très aisément même aux plus anciens solitaires. Ainsi, ayant erré tout le jour et toute la nuit dans toute la vaste étendue de ce désert sans pouvoir trouver la cellule de ce vieillard, ils furent enfin accablés du travail d'un si pénible voyage, et tourmentés si cruellement de la faim et de la soif, qu'ils s'agenouillèrent pour prier Dieu et rendirent l'âme dans leurs prières.
On les chercha ensuite, fort longtemps en suivant la trace de leurs pas qui demeurent imprimés dans ces lieux sablonneux comme sur la neige, jusqu'à ce qu'il s'élève un petit vent qui jette d'autre poussière par dessus et qui les cache. On les trouva enfin en cet état, ayant auprès d'eux leurs figues où ils n'avaient pas touché, parce qu'ils aimèrent mieux perdre la vie que la fidélité dans le dépôt qui leur avait été confié, et de mourir plutôt dans ces extrémités que de violer en la moindre chose le commandement de leur supérieur. (Inst., V, 40. P. L., 49, 263.)