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IL est parmi nous deux sortes d'épreuves. Nous sommes attaqués dans ce monde , ou par l’affliction , qui , comme l'or dans le creuset , éprouve notre aie et fait connaître sa force en exerçant sa patience , ou par la prospérité même , qui est un autre genre d'épreuve. Car il est également difficile , et de ne pas nous laisser abattre dans les peines de la vie , et de ne pas nous laisser emporter par l'orgueil dans l'excès du bonheur. Job nous fournit un exemple de la première sorte d'épreuve. Cet athlète généreux et invincible, qui , lorsque le démon venait fondre sur lui comme un torrent impétueux, a soutenu tous ses efforts avec un coeur ferme et inébranlable, s'est montré d'autant plus grand , d'autant plus élevé au-dessus des disgrâces , que son ennemi lui livrait des combats plus rudes et plus cruels. Le riche de l'évangile qu'on vient de lire , nous offre un exemple , entre mille autres , de l'épreuve dans les heureux succès ; ce riche qui possédait déjà de grandes richesses, et qui en espérait de nouvelles , parce qu'un Dieu bon n'avait point puni d'abord son ingratitude , mais qu'il ajoutait tous les jours à ses biens, pour essayer si en rassasiant son coeur , il pourrait le tourner vers la sensibilité et la bienfaisance.
Les terres d’un homme riche , dit l'Evangile , lui ayant rapporté des fruits en abondance , il se disait à lui-même : Que ferai-je ? Je détruirai mes greniers et j'en construirai de plus grands ( Luc. 12. 16 et suiv. ). Pourquoi donc gratifier de cette abondance de fruits , un homme qui n'en devait faire aucun bon usage ? c'est pour qu'on vît se manifester avec plus d'éclat l'immense bonté de Dieu, qui s'étend jusque sur de pareils hommes ; qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes, et lever son soleil sur les méchants et sur les bons ( Matth. 5. 45. ). Mais ce Dieu bon et patient amasse de plus grands supplices contre les criminels qu'il diffère de punir. Il a envoyé des pluies sur une terre cultivée par des mains avares, il a ordonné au soleil d'échauffer les semences et de les multiplier au centuple. Un terrain fertile , une température favorable , des semences abondantes , des animaux robustes , compagnons des travaux , et les autres avantages qui font prospérer la culture : voilà les bienfaits dont Dieu a comblé le riche de l'Evangile. Et que voyons-nous dans ce riche ? des mains fermées à toute largesse, un coeur dur , insensible aux besoins et aux souffrances d'autrui. Voilà comme il a reconnu les dons multipliés de son bienfaiteur. Il ne s'est pas rappelé que les autres hommes sont ses semblables , il n'a pas songé à faire part aux indigents de son superflu , il n'a tenu aucun compte de ces préceptes: Ne cessez pas de faire du bien au pauvre ; que la foi et une charité bienfaisante ne vous abandonnent jamais ; rompez votre pain avec celui qui a faim (Prov. 3. 3 et 27. — ls. 58. 7. ). Les leçons, les cris de tous les prophètes et de tous les docteurs ont été pour lui inutiles. Ses greniers trop étroits et trop faibles , rompaient sous la multitude des fruits dont ils étaient chargés; son âme avide n'était pas encore satisfaite. Ajoutant sans cesse à ce qu'il avoir déjà, grossissant toujours ses biens par les productions de chaque année , il tomba enfin dans un embarras et des perplexités dont il avait peine à sortir. Son avarice ne lui permettait pas d'abandonner les anciennes récoltes ; il ne pouvait renfermer les nouvelles , vu leur abondance ; il était donc embarrassé, il ne savait à quoi se résoudre.
Qui n'aurait pas eu pitié de ce riche , malheureux par sa propre richesse , misérable par les biens qu'il possédait , plus misérable encore par ceux qu'il attendait ? Ce sont moins des revenus que lui produisent ses terres , que des gémissements. Ce ne sont pas des fruits qu'il amasse, mais des peines d'esprit, des inquiétudes et des embarras cruels. Il se lamente comme le pauvre. Celui qui est pressé par l'indigence fait entendre ces plaintes: Que ferai-je ? d'où tirerai-je ma nourriture et mes vêtements ? Que ferai-je? dit aussi ce riche. Son âme est oppressée et agitée par les soins et les soucis. Ce qui réjouit les autres inquiète l'avare. L'abondance qui règne dans sa maison ne le satisfait pas ; ses celliers qui regorgent de biens lui causent une peine intérieure ; il appréhende que venant par hasard à jeter les yeux sur les objets qui l'environnent, il ne trouve une occasion de soulager les indigents.
