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Mais ne donnons pas dans ce travers. Il n'y aura plus de déluge; il n'y aura plus de ces châtiments qui font périr tant de monde; mais c'est un commencement de supplice que la mort de l'homme qui ne croit pas au jugement. Qui est revenu de là-bas, s'écrie l'incrédule, pour nous dire et pour nous raconter ce qui s'y passe? Homme incrédule, si votre langage n'est qu'une plaisanterie, votre langage est déjà un mal ; il ne faut pas plaisanter sur de pareilles matières. C'est plaisanter sur des sujets qui n'ont rien de plaisant et sur des choses périlleuses. Mais si vous parlez sérieusement, si vous pensez qu'au-delà de cette vie il n'y a plus rien, comment osez-vous vous dire chrétien? Car je ne m'occupe point ici de ceux qui sont en dehors de notre religion. Pourquoi ce baptême que vous recevez? Pourquoi entrer dans l'Eglise? Est-ce que nous vous promettons de hautes dignités et des magistratures ? Non : tout notre espoir repose sur la vie future. Pourquoi venir à nous, si vous ne croyez ni aux saintes Ecritures, ni au Christ? Non : un tel homme n'est pas chrétien. Dieu me préserve de l'appeler ainsi ! Un tel homme est pire qu'un païen. Pourquoi ? Parce que tout en croyant à un Dieu, vous ne croyez pas en ce Dieu. La croyance du païen n'est pas une impiété ; lorsqu'on ne croit pas à l'existence du Christ, nécessairement on ne doit pas croire en lui. Mais il y a impiété, il y a même inconséquence à confesser que Dieu existe et à ne pas ajouter foi à sa parole. C'est un propos d'ivrogne, un propos inspiré par la sensualité, par la débauche et par l'intempérance que cette parole : « Mangeons et buvons; nous mourrons demain ». (I Cor. XV, 32.) Ce n'est pas demain, c'est au moment où vous parlez ainsi que vous mourez.
N'y aura-t-il donc, dites-moi, rien qui nous distingue des pourceaux et des ânes? Car enfin , s'il n'y a ni jugement, ni récompense , ni rémunération, ni tribunal, pourquoi avons. nous reçu la raison en partage? Pourquoi sommes-nous les rois de la création? Pourquoi commandons-nous aux créatures? Pourquoi les créatures nous obéissent-elles ? Voyez-vous comme le démon nous presse de tous côtés, comme il nous pousse à méconnaître le don que Dieu nous a fait ? Il confond tout, les serviteurs et les maîtres. Comme un (114) marchand d'esclaves, comme un esclave ingrat, il s'efforce de faire descendre un être libre à l'état de bassesse et d'abjection où tombe celui qui a offensé le Seigneur. On dirait qu'il veut supprimer le jugement; il voudrait supprimer Dieu. Oui, le démon est toujours ainsi. C'est par fraude, par ruse, c'est en usant de piéges qu'il agit; il n'agit pas franchement et de manière à nous mettre sur nos gardes. S'il n'y a pas de jugement, Dieu n'est pas juste ; c'est le langage de l'homme que je parle ici : et si Dieu n'est pas juste, il n'existe pas : enfin, si Dieu n'existe pas, tout est le jouet du hasard , il n'y a ni vice, ni vertu. Mais c'est là un langage que le démon ne tient pas ouvertement. Avez-vous bien vu le fond de la pensée de Satan? Voyez-vous comme il voudrait faire de nous des brutes ou plutôt des bêtes féroces ou même des démons? Ne l'écoutons pas. Oui, il y a un jugement, malheureux et infortuné que vous êtes. Et je sais bien pourquoi vous parlez comme vous le faites. C'est que vous avez bien des fautes sur la conscience ; vous avez offensé le Seigneur; vous ne parlez pas en pleine liberté, en pleine franchisé, et vous croyez pouvoir faire mentir la nature. En attendant, dit l'incrédule, je ne veux pas me mettre l'âme à la torture avec cette idée de la géhenne; si elle existe, je me persuaderai qu'elle n'existe pas et je me plongerai dans les délices.
Mais pourquoi donc entasser fautes sur fautes? Si vous croyez, pécheur que vous êtes, aux tourments de l'enfer, vous en serez quitte pour expier vos péchés. Mais si vous ajoutez à vos péchés le crime d'une incrédulité impie, vous serez puni en outre de cette incrédulité avec la dernière- rigueur. Et ce qui aura été pour vous une triste consolation d'un moment, deviendra contre vous un chef d'accusation qui vous vaudra un supplice éternel. Vous avez péché, soit. Mais est-ce une raison pour exhorter les autres à pécher aussi, en leur disant qu'il n'y a pas de géhenne? Pourquoi tromper les âmes simples? Pourquoi décourager le peuple de Dieu et lui ôter la force de lever les mains au ciel? Vous renversez tout, en tant que cela dépend de vous. S'ils vous écoutent, les gens de bien ne deviendront pas meilleurs; ils tomberont dans la mollesse et dans l'inaction; les méchants, de leur côté, persisteront dans le vice. Mais si nous corrompons les autres, obtiendrons-nous, pour cela, le pardon de nos péchés? N'avez-vous pas été témoin des tentatives du démon pour faire tomber et pour terrasser Adam? Le démon a-t-il obtenu son pardon pour cela? Son supplice, au contraire; a été certainement aggravé. Ne fait-il pas tout ce qu'il peut pour que nous portions la peine non-seulement de nos fautes, mais des fautes d'autrui? Ne croyons donc pas, en entraînant les autres dans notre perte, adoucir notre sentence; nous nous attirerons, au contraire, une condamnation plus lourde et plus cruelle. Pourquoi nous pousser dans l'abîme et nous perdre les uns les autres ? Ce sont là des habitudes sataniques. Homme, avez-vous péché? Vous avez un Dieu bon et clément; priez-le, suppliez-le, pleurez, gémissez, effrayez les autres et demandez qu'ils ne tombent pas dans les mêmes erreurs que vous. Qu'un esclave, après avoir offensé son maître, dise à son fils Mon fils, j'ai offensé mon maître; toi, efforce-toi de lui plaire et ne fais pas comme moi; cet esclave, dites-moi, n'obtiendra-t-il pas, jusqu'à un certain point, son pardon? Ne parviendra-t-il pas à calmer, à fléchir son maître? Mais si, tenant un tout autre langage, il fait entendre que son maître ne fera pas justice à chacun, que, pour lui, le bien et le mal se mêlent et se confondent, que dans sa maison, on ne sait pas gré aux esclaves de ce qu'ils font, que pensera le maître d'un esclave pareil? Ne lui fera-t-il pas subir un châtiment plus rigoureux encore ? Oui, certes, et il aura raison. Le premier esclave trouvera une certaine excuse dans son repentir; l'autre n'obtiendra point de pardon. A défaut d'autre exemple, suivez du moins l'exemple de ce riche qui, au milieu des tourments de l'enfer, disait : « Père Abraham, envoyez Lazare vers mes frères, de peur qu'ils ne viennent dans ce lieu de souffrances ». (Luc, XVI, 27, 28.) Il ne pouvait en sortir, lui ; mais il voulait empêcher les autres d'y tomber. Renonçons donc à notre langage satanique.
