Traduction
Masquer
Les confessions de Saint Augustin
CHAPITRE II. SES DÉBAUCHES A SEIZE ANS.
92. Ma plus vive jouissance n’était-elle pas d’aimer et d’être aimé? Mais je ne m’en tenais pas à ces liens d’âme à âme, sur la chaste lisière de l’amitié spirituelle. D’impures vapeurs s’exhalaient des fangeuses convoitises de ma chair, de l’effervescence de la puberté; elles couvraient et offusquaient mon coeur: la sérénité de l’amour était confondue avec les nuages de la débauche. L’une et l’autre fermentaient ensemble, et mon imbécile jeunesse était entraînée dans les précipices des passions et plongeait dans le gouffre du libertinage.
Votre colère s’était amassée contre moi, et je l’ignorais. Au bruit des chaînes de ma mortalité, j’étais devenu sourd, j’expiais la superbe de mon âme. Et je m’éloignais de vous, et vous me laissiez; et je m’élançais, et je débordais, et je me répandais, et je me fondais en adultères, et vous vous taisiez! O ma tardive joie, vous vous taisiez alors, et, toujours plus loin de vous, je m’avançais dans les aridités fécondes en douleurs, avili dans l’orgueil, agité dans la fatigue!
3. Qui eût alors modéré ma peine? Qui m’eût borné à l’usage légitime de la fugitive beauté des créatures éphémères et de leurs délices, pour que les flots de ma jeunesse ne débordassent pas du moins la plage conjugale, s’ils ne pouvaient s’apaiser dans le but de la procréation des enfants, selon la prescription de votre loi, Seigneur, qui réglez la génération de notre mortalité, et pouvez étendre une main adoucie pour émousser des épines inconnues au paradis? car votre toute-puissance est tout près de nous, lors même que nous sommes loin de vous. Que n’ai-je du moins écouté plus attentivement la voix de vos nuées: « Ils souffriront des tribulations dans leur chair. Et moi je vous les épargne. Il est bon à l’homme de ne point toucher de femme. Celui qui est sans femme pense aux choses de Dieu, à plaire à Dieu. Celui qui est lié par le mariage pense aux choses du monde, à plaire à sa femme (I Cor. VII, 28, I, 32,33,34). » Que n’ai-je ouvert l’oreille à cette voix! eunuque de volonté en vue du royaume des cieux (Matth. XIX, 12), dans l’attente plus heureuse de vos embrassements?
4. Mais je brûlais, malheureux, et livré au torrent qui m’entraînait loin de vous, je m’affranchis de tous vos commandements, sans échapper à votre verge. Qui le pourrait? Vous (373) étiez toujours présent dans la miséricorde de vos rigueurs, abreuvant des plus amers dégoûts toutes mes joies illégitimes, pour m’entraîner à chercher les joies exemptes de dégoûts. Et où les eussé-je trouvées hors de vous, « qui faites entrer la douleur dans le précepte ( Ps. XCIII, 20); qui frappez pour guérir; qui tuez pour nous empêcher de mourir à vous (Deut. XXXII, 39)? »
Où étais-je, et dans quel lointain exil des délices de votre maison, à cette seizième année de l’âge de ma chair, qui prit alors le sceptre sur moi; esclave volontaire, livré sans réserve à la frénésie de cette passion, que notre dégradation affranchit de tout frein, mais que votre loi condamne? On ne se mit point en peine d’offrir le mariage au-devant de ma chute; on n’avait à coeur que de me faire apprendre à bien dire, à persuader par ma parole.
Edition
Masquer
Confessiones
Caput 2
Et quid erat, quod me delectabat, nisi amare et amari? sed non tenebatur modus ab animo usque ad animum, quatenus est luminosus limes amicitiae, sed exhalabantur nebulae de limosa concupiscentia carnis et scatebra pubertatis, et obnubilabant atque obfuscabant cor meum, ut non discerneretur serenitas dilectionis a caligine libidinis. utrumque in confuso aestuabat et rapiebat inbecillam aetatem per abrupta cupiditatum atque mersabat gurgite flagitiorum. invaluerat super me ira tua, et nesciebam. obsurdueram stridore catenae mortalitatis meae, poena superbiae animae meae, et ibam longius a te, et sinebas, et iactabar et effundebar et diffluebam et ebulliebam per fornicationes meas, et tacebas. o tardum gaudium meum! tacebas tunc, et ego ibam porro longe a te in plura et plura sterilia semina dolorum superba deiectione et inquieta lassitudine. Quis mihi modularetur aerumnam meam et novissimarum rerum fugaces pulchritudines in usum verteret earumque suavitatibus metas praefigeret, ut usque ad coniugale litus exaestuarent fluctus aetatis meae, si tranquillitas in eis non poterat esse fine procreandorum liberorum contenta, sicut praescribit lex tua, domine, qui formas etiam propaginem mortis nostrae, potens inponere lenem manum ad temperamentum spinarum a paradiso tuo seclusarum? non enim longe est a nobis omnipotentia tua, etiam cum longe sumus a te. aut certe sonitum nubium tuarum vigilantius adverterem: tribulationem autem carnis habebunt huius modi, ego autem vobis parco; et: bonum est homini mulierem non tangere; et: qui sine uxore est, cogitat ea quae sunt dei, quomodo placeat deo, qui autem matrimonio iunctus est, cogitat ea quae sunt mundi, quomodo placeat uxori. has ergo voces exaudirem vigilantior, et abscisus propter regnum caelorum felicior expectarem amplexus tuos. Sed efferbui miser, sequens impetum fluxus mei relicto te, et excessi omnia legitima tua, nec evasi flagella tua: quis enim hoc mortalium? nam tu semper aderas misericorditer saeviens, et amarissimis aspargens offensionibus omnes illicitas iucunditates meas, ut ita quaererem sine offensione iucundari, et ubi hoc possem, non invenirem quicquam praeter te, domine, praeter te, qui fingis dolorem in praecepto et percutis, ut sanes, et occidis nos, ne moriamur abs te. ubi eram, et quam longe exulabam a deliciis domus tuae, anno illo sexto decimo aetatis carnis meae, cum accepit in me sceptrum, et totas manus ei dedi, vesania libidinis licentiosae per dedecus humanum, inlicitae autem per leges tuas? non fuit cura meorum ruentem excipere me matrimonio, sed cura fuit tantum, ut discerem sermonem facere quam optimum et persuadere dictione.