16.
Tandis que nous l'engagions en badinant ainsi à prendre sa part du festin, je remarquai que les autres convives, ignorant tout ce qui se passait et curieux de savoir ce que nous pouvions dire entre nous avec une physionomie si enjouée, me regardaient sans rire. Ils me firent l'effet de ces convives que l'on rencontre bien souvent au milieu de commensaux avides et rapaces et qui s'abstiennent de toucher aux mets, par un sentiment de dignité et de retenue. Comme je les avais invités, comme je jouais en cette occasion le rôle d'un grand personnage, et, pour tout dire, le rôle de celui qui invite au nom d'un homme vraiment digne de ce nom, je ne pus me contenir, et je fus choqué de cette différence d'attitude entre mes convives, qui rompait l'harmonie de notre festin. Je souris à ma mère. Usant d'une entière franchise, et m'ordonnant de tirer, pour ainsi dire, de son buffet particulier un supplément pour des convives trop discrets: Dis-nous donc, s'écria-t-elle, et explique-nous quels sont ces académiciens et ce qu'ils veulent. Je le lui expliquai en quelques termes bien clairs et de façon à renseigner tout le monde sur leur compte. Ces gens-là, dit-elle alors, sont des tombeurs (caducarii). C'est le nom qu'on donne chez nous dans le peuple à ceux qui tombent du haut-mal, et aussitôt elle se lève pour s'en aller. Le repas était fini . Nous nous retirâmes tous de fort bonne-humeur et en riant1.
On sait que les Romains rompaient leurs assemblées quand quelqu'un tombait du haut mal. De là vient le spirituel à propos de la réflexion de sainte Monique. ↩
