8.
Et l'âme, repris-je, n'a-t-elle pas aussi ses aliments? Sa nourriture, à elle, est-elle la science ? — Oui, dit ma mère, les seuls aliments de l'âme, selon moi, sont l'intelligence des choses et la science. Comme Trygétius ne semblait pas convaincu de cette vérité: aujourd'hui, dit-elle, ne nous as-tu pas montré toi-même où l'âme prend ses aliments? car à un certain moment du repas, tu as dit que tu n'a. vais pas remarqué les vases dont nous nous servions, parce que je ne sais quelles autres pensées t'occupaient, et pourtant tu avais touché et goûté à une partie des mets. Où était donc ton âme, quand tu mangeais et qu'elle ne faisait pas attention au festin ? Ah ! crois-moi, les aliments de l'âme, ce sont les pensées et la contemplation, si tant est qu'elle puisse en recueillir quelque chose. Comme mes interlocuteurs manifestaient bruyamment leurs doutes:
Ne m'accordez-vous pas, leur dis-je, que les âmes des hommes éclairés sont bien plus pleines et plus grandes d'une certaine façon, que celles des ignorants ? — Ils répondirent que c'était évident. Nous avons donc raison de dire, continuai-je, que ceux que la science et l'enseignement n'ont pas nourris, sont à jeun et pour ainsi dire affamés. — Ils ont aussi l'âme pleine, dit Trygétius, mais c'est de vices et de corruption. Et voilà, repris je, ce qui fait dans ces âmes une sorte de stérilité et pour ainsi dire d'inanition. Car, si le corps privé de nourriture est la plupart du temps en proie à des maladies et à des affections indices de la faim, ces âmes de leur côté sont pleines de maux qui révèlent de longs jeûnes. Car le mot de nequitia, qui désigne la corruption, mère de tous les vices, vient, selon les anciens, de ce qu'elle est sans aucun bon effet, nequidquam,de ce qu'elle est le néant, nihil. La vertu opposée à ce vice [173] s'appelle frugalité. De même donc que frugalité vient de frux, c'est-à-dire de fructus, fruits, parce qu'elle rend, pour ainsi dire, les âmes fécondes; ainsi c'est la stérilité, c'est-à-dire le rien (nihilum), qui a donné son nom à la corruption (nequitia). Ce qui découle en effet, ce qui se dissout, ce qui tombe en liquéfaction, ce qui pour ainsi dire meurt sans cesse, n'est rien; et voilà pourquoi nous appelons les gens frappés du vice dont nous parlons des hommes perdus de débauches. Ce qui est quelque chose, c'est ce qui demeure, ce qui reste, ce qui demeure toujours le même, comme la vertu, dont l'élément le plus important et le plus beau est la tempérance ou la frugalité. Mais, si c'est là une vérité trop obscure, pour que vous puissiez la saisir dès à présent, vous m'accorderez du moins, puisque les âmes ignorantes sont pleines aussi, qu'il y a, pour les âmes comme pour les corps, deux sortes d'aliments, les uns salubres et utiles, les autres malsains et empoisonnés.
