23.
Apporte donc une attention toute spéciale à cette question qui nous occupe actuellement, savoir, s'il y a pour l'esprit une grandeur, et pour ainsi parler, un espace local. Il n'est pas corps, autrement il ne pourrait voir aucun objet incorporel, comme nous l'avons démontré plus haut; donc. il n'occupe pas cet espace qui rend les corps mesurables, et dès lors on ne peut ni croire, ni imaginer, ni comprendre qu'il ait une grandeur corporelle. Si tu es étonné que l'esprit n'ayant aucune dimension, puisse néanmoins embrasser par la mémoire, les vastes espaces des cieux, de la terre et des mers, c'est qu'il est doué d'une force prodigieuse, comme le montreront à la lumière de ton intelligence, les points dont nous sommes convenus.
En effet, s'il est vrai, comme nous l'a prouvé la raison, qu'il n'y a aucun corps sans longueur, largeur et profondeur; si nulle de ces dimensions ne petit exister réellement sans les deux autres, et qu'il soit donné à notre esprit de voir la ligne seule, avec cet oeil intérieur qui est l'intelligence, nous pourrons, je crois, admettre que l'esprit n'est pas corporel, et qu'il est supérieur à tout corps; ceci admis, nul doute, je crois, qu'il ne soit encore supérieur à la ligne. Il serait absurde, en effet, que ces trois dimensions entrant nécessairement dans la nature de tout corps, ce qui est supérieur au corps ne leur fût pas supérieur à toutes. Mais la ligne qui est certainement inférieure à l'esprit, l'emporte sur les deux autres parce qu'elle est moins divisible. Or, les deux autres sont d'autant plus divisibles que la ligne, qu'elles s'étendent plus dans l'espace. Cependant la ligne n'occupe d'espace que dans sa longueur, et cet espace supprimé, il n'en existe plus. De là, il suit nécessairement que tout ce qui est supérieur à la ligne, n'est renfermé dans aucun espace, et ne souffre dès lors ni division, ni partage. C'est donc un vain labeur, selon moi, de chercher la dimension de l'esprit, dimension qui n'existe pas, puisque nous accordons que l'esprit est supérieur à la ligne. Et si, de toutes les figures planes, la plus parfaite est le cercle; si au flambeau de la raison nous n'avons rien vu de mieux et de plus puissant dans le cercle que le point où il n'y a indubitablement aucune partie , pourquoi s'étonner que notre âme ne soit ni corporelle, ni étendue comme la longueur, ni épanouie comme la largeur, ni affermie comme la profondeur, et qu'elle l'emporte sur le corps au point de gouverner seule tous les membres, et d'être comme le pivot sur lequel roulent tous les mouvements du corps?
