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Le milieu de l'œil, appelé pupille, n'est autre qu'un certain point de l'œil, et telle est néanmoins sa force, qu'il peut., du haut d'un tertre, embrasser d'un regard la moitié du ciel dont l'espace est incommensurable; il n'est donc, pas sans vraisemblance que l'esprit n'ait point cette étendue corporelle , qui consiste dans les trois dimensions, et puisse néanmoins embrasser en idée tous les corps, quelle que soit leur grandeur. Mais il n'est accordé qu'à un petit nombre de voir l'esprit par l'esprit même, c'est-à-dire comme l'esprit se voit; car il se voit au moyen de l'intelligence. Seule en effet, l'intelligence peut voir que dans tout l'univers, il n'y a rien de plus beau: et de plus éclatant que ces natures, dont l'existence nous apparaît, pour ainsi dire, sans enflure; car ce n'est pas sans raison que l'on appelle enflure toute grandeur corporelle; si elle méritait quelque estime, les éléphants seraient à nos yeux les plus sages des animaux. Or, si quelqu'un, digne d'être l'un d'entre eux, nous disait que les éléphants sont sages (car j'ai vu, avec étonnement sans doute, mais enfin j'ai vu des hommes se poser souvent cette question); du moins nous accorderait-il, je crois, qu'une faible abeille a plus de sagesse qu'un âne; et pourtant comparer la taille de ces deux animaux, ce serait plus que ressembler au dernier d'entre eux. Ou bien, pour en revenir à ce que nous avons dit des yeux, qui ne sait que l'œil de l'aigle est beaucoup plus rétréci que le nôtre? Et toutefois quand il plane si haut dans les airs, que la plus vive lumière suffit à peine pour nous le faire découvrir, cet oeil lui montre, on en a la preuve, le levraut caché sous un buisson, le poisson sous les flots.
Si la grandeur des corps importes ;peu pour la faculté de sentir, lors même, qu'il s'agit des sens qui ne peuvent percevoir rien que de corporel; est-il à craindre, je te le demande, que l'esprit humain, dont le regard le plus pénétrant, et pour ainsi dire le seul, est cette raison par laquelle il cherche à se voir lui-même, ne soit qu'un néant, si cette raison, qui est lui-même, vient à lui prouver qu'il est dépourvu de toute grandeur locale? Crois-moi, il faut supposer à notre âme de la grandeur, mais une grandeur qui ne soit nullement matériel le. C'est ce qui devient plus facile aux esprits déjà cultivés, qui abordent ces études non parce qu'ils sont avides d'une vaine gloire, mais parce qu'ils sont enflammés par l'amour divin de la vérité; ou à ceux qui s'adonnent à ces recherches, quoique moins exercés dans ces sortes de questions, s'ils se montrent patients et dociles envers les hommes de bien, et se détachent des corps autant qu'il est permis en cette vie. Or, il est impossible que la divine Providence refuse les moyens de se connaître elles-mêmes, ainsi que leur Dieu, à des âmes religieuses qui cherchent avec piété, avec simplicité, avec empressement.
