4.
Que cette foi disparaisse de la société humaine, et il n’est personne qui ne voie quelle perturbation, quelle horrible confusion en sera la conséquence. S’il ne faut croire qu’à ce qu’on voit, que deviendra l’affection mutuelle puisque l'amour est invisible ? C'en sera donc fait de l'amitié, laquelle n'est autre chose que l'affection réciproque. En effet quel témoignage d'affection peut ou recevoir d'un homme, quand on ne croit pas qu'il en ait donné ? Or, l'amitié disparaissant, les liens du mariage, de la parenté ou de l'affinité disparaîtront aussi; car ils reposent également sur une affection réciproque. L'époux ne pourra plus aimer son épouse, puisqu'il ne croira pas en être aimé. Vu que l'amour est invisible, ils ne désireront plus ni l'un ni l'autre avoir des enfants, convaincus,d'avance qu'ils n'auraient rien à attendre. Que si des enfants naissent et grandissent, ils aimeront encore bien moins leurs parents : car,ils ne verront pas l’amour caché au fond de leurs coeurs, parce qu'il est invisible, et que c'est, dit-on, non une foi digne d'éloge, mais une témérité blâmable de croire à ce qu'on ne voit pas. Que dire des autres relations de frères, de soeurs, de gendres, de beaux-pères, de consanguinité on d'affinité, si l’affection est incertaine, la bonne volonté douteuse, et chez les enfants envers les parents, et chez les parents,envers les enfants : si on ne rend pas bienveillance pour bienveillance, si on ne croit pas la devoir, vu qu'on n'admet pas son existence chez les autres dès lors qu’on ne la voit pas?
Or, croire qu'on n'est pas aimé parce qu'on ne voit pas l'amour, ne pas rendre affection pour affection parce qu'on s’en croit dispensé, ce n’est pas là un acte de sagesse, mais une réserve odieuse ; et si nous ne croyons pas à ce que nous ne voyons pas, si nous nions les volontés des hommes, parce qu'elles échappent à nos yeux, il en résultera un tel trouble dans la société que tout sera renversé de fond en comble. Je ne parle pas de tout ce que croient ceux qui nous reprochent de croire sans voir ; de ce qu'ils croient, sur la foi de la renommée, sur la foi de l’histoire, au sujet des lieux qu'ils n'ont jamais vus ; sans être tentés de dire: « Nous n'avons pas vu, nous ne croyons pas. S’ils le disaient, ils seraient forcés de douter même,de leurs parents; puisqu'ici ils n'y croient que sur la foi des autres, qui ne sauraient leur montrer un fait passé, et dont eux-mêmes n'ont pas gardé le moindre souvenir. Et cependant ils n'élèvent aucun doute sur la parole, de ces témoins ; autrement, pour échapper à la témérité de croire sans voir, il faudrait montrer une incrédulité criminelle à l'égard de ses propres parents.
Si donc les liens qui unissent les hommes, si la société elle-même disparaissent, dès qu'on ne croit plus à ce que l'on ne peut voir; à combien plus forte raison devons-nous croire aux choses diverses, quoique nous ne les voyions pas, puisque l'absence de cette foi détruit, non plus l'amitié de quelques hommes, mais notre sublime religion, et entraîna par là , le plus grand des malheurs
