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De civitate Dei (CCSL)
Caput XIX: De Lucretia, quae se ob inlatum sibi stuprum peremit.
An forte huic perspicuae rationi, qua dicimus huic perspicuae rationi, qua dicimus corpore obpresso nequaquam proposito castitatis ulla in malum consensione mutato illius tantum esse flagitium, qui obprimens concubuerit, non illius, quae obpressa concumbenti nulla uoluntate consenserit, contradicere audebunt hi, contra quos feminarum Christianarum in captiuitate obpressarum non tantum mentes, uerum etiam corpora sancta defendimus? Lucretiam certe, matronam nobilem ueteremque Romanam, pudicitiae magnis efferunt laudibus. huius corpore cum uiolenter obpresso Tarquinii regis filius libidinose potitus esset, illa scelus inprobissimi iuuenis marito Collatino et propinquo Bruto, uiris clarissimis et fortissimis, indicauit eosque ad uindictam constrinxit. deinde foedi in se commissi aegra atque inpatiens se peremit. quid dicemus? adultera haec an casta iudicanda est? quis in hac controuersia laborandum putauerit? egregie quidam ex hoc ueraciterque declamans ait: mirabile dictu, duo fuerunt et adulterium unus admisit. splendide atque uerissime. intuens enim in duorum corporum commixtione unius inquinatissimam cupiditatem, alterius castissimam uoluntatem, et non quid coniunctione membrorum, sed quid animorum diuersitate ageretur adtendens: duo, inquit, fuerunt, et adulterium unus admisit. sed quid est hoc, quod in eam grauius uindicatur, quae adulterium non admisit? nam ille patria cum patre pulsus est, haec summo est mactata supplicio. si non est illa inpudicitia qua inuita obprimitur, non est haec iustitia qua casta punitur. uos appello, leges iudicesque Romani. nempe post perpetrata facinora nec quemquam scelestum indemnatum inpune uoluistis occidi. si ergo ad uestrum iudicium quisquam deferret hoc crimen uobisque probaretur non solum indemnatam, uerum etiam castam et innocentem interfectam esse mulierem, nonne eum, qui id fecisset, seueritate congrua plecteretis? hoc fecit illa Lucretia; illa, illa sic praedicata Lucretia innocentem, castam, uim perpessam Lucretiam insuper interemit. proferte sententiam. quod si propterea non potestis, quia non adstat quam punire possitis, cur interfectricem innocentis et castae tanta praedicatione laudatis? quam certe apud infernos iudices etiam tales, quales poetarum uestrorum carminibus cantitantur, nulla ratione defenditis, constitutam inter illos scilicet, qui sibi letum insontes peperere manu lucemque perosi proiecere animas; cui ad superna redire cupienti fas obstat, tristisque palus inamabilis undae adligat. an forte ideo ibi non est, quia non insontem, sed male sibi consciam se peremit? quid si enim - quod ipsa tantummodo nosse poterat - quamuis inueni uiolenter inruenti etiam sua libidine inlecta consensit idque in se puniens ita doluit, ut morte putaret expiandum? quamquam ne sic quidem se occidere debuit, si fructuosam posset apud deos falsos agere paenitentiam. uerumtamen si forte ita est falsumque est illud, quod duo fuerunt et adulterium unus admisit, sed potius ambo adulterium commiserunt, unus manifesta inuasione, altera latente consensione, non se occidit insontem, et ideo potest a litteratis eius defensoribus dici non esse apud inferos inter illos, qui sibi letum insontes peperere manu. sed ita haec causa ex utroque latere coartatur, ut, si extenuatur homicidium, adulterium confirmetur; si purgatur adulterium, homicidium cumuletur; nec omnino inuenitur exitus, ubi dicitur: si adulterata, cur laudata; si pudica, cur occisa? nobis tamen hoc tam nobili feminae huius exemplo ad istos refutandos, qui Christianis feminis in captiuitate conpressis alieni ab omni cogitatione sanctitatis insultant, sufficit quod in praeclaris eius laudibus dictum est: duo fuerunt et adulterium unus admisit. talis enim ab eis Lucretia magis credita est, quae se nullo adulterino potuerit maculare consensu. quod ergo se ipsam, quoniam adulterum pertulit, etiam non adultera occidit, non est pudicitiae caritas, sed pudoris infirmitas. puduit enim eam turpitudinis alienae in se commissae etiamsi non se cum, et Romana mulier, laudis auida nimium, uerita est ne putaretur, quod uiolenter est passa cum uiueret, libenter passa si uiueret. unde ad oculos hominum testem mentis suae illam poenam adhibendam putauit, quibus conscientiam demonstrare non potuit. sociam quippe facti se credi erubuit, si, quod alius in ea fecerat turpiter, ferret ipsa patienter. non hoc fecerunt feminae Christianae, quae passae similia uiuunt tamen nec in se ultae sunt crimen alienum, ne aliorum sceleribus adderent sua, si, quoniam hostes in eis concupiscendo stupra commiserant, illae in se ipsis homicidia erubescendo committerent. habent quippe intus gloriam castitatis, testimonium conscientiae; habent autem coram oculis dei sui nec requirunt amplius, ubi quid recte faciant non habent amplius, ne deuient ab auctoritate legis diuinae, cum male deuitant offensionem suspicionis humanae.
Übersetzung
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La cité de dieu
CHAPITRE XIX.
DE LUCRÈCE, QUI SE DONNA LA MORT POUR AVOIR ÉTÉ OUTRAGÉE.
Nous soutenons que lorsqu’une femme, décidée à rester chaste , est victime d’un viol sans aucun consentement de sa volonté, il n’y a de coupable que l’oppresseur. Oseront-ils nous contredire, ceux contre qui nous défendons la pureté spirituelle et aussi la pureté corporelle des vierges chrétiennes outragées dans leur captivité? Nous leur demanderons pourquoi la pudeur de Lucrèce, cette noble dame de l’ancienne Rome, est en si grand honneur auprès d’eux? Quand le fils de Tarquin eut assouvi sa passion infâme, Lucrèce dénonça le crime à son mari, Collatin, et à son parent, Brutus, tous deux illustres par leur rang et par leur courage, et leur fit prêter serment de la venger; puis, l’âme brisée de douleur et ne voulant pas supporter un tel affront, elle se tua1. Dirons-nous qu’elle est morte chaste ou adultère ? Poser cette question c’est la résoudre. J’admire beaucoup cette parole d’un rhéteur qui déclamait sur Lucrèce : « Chose admirable !» s’écriait-il ; « ils étaient deux; et un seul fut adultère ! » Impossible de dire mieux et plus vrai. Ce rhéteur a parfaitement distingué dans l’union des corps la différence des âmes, l’une souillée par une passion brutale, l’autre fidèle à la chasteté, et exprimant à la fois cette union toute matérielle et cette différence morale, il a dit excellemment: « Ils étaient deux, un seul fut adultère».
Mais d’où vient que la vengeance est tombée plus terrible sur la tête innocente que sur la tête coupable? Car Sextus n’eut à souffrir que l’exil avec son père, et Lucrèce perdit la vie. S’il n’y a pas impudicité à subir la violence, y a-t-il justice à punir la chasteté ? C’est à vous que j’en appelle, lois et juges de Rome ! Vous ne voulez pas que l’on puisse impunément faire mourir un criminel, s’il n’a été condamné. Eh bien! supposons qu’on porte ce crime à votre tribunal : une femme a été tuées non-seulement elle n’avait pas été condamnée, mais elle était chaste et innocente ne punirez-vous pas sévèrement cet assassinat ? Or, ici, l’assassin c’est Lucrèce. Oui, cette Lucrèce tant célébrée a tué la chaste, l’innocente Lucrèce, l’infortunée victime de Sextus. Prononcez maintenant. Que si vous ne le faites point, parce que la coupable s’est dérobée à votre sentence, pourquoi tant célébrer la meurtrière d’une femme chaste et innocente ? Aussi bien ne pourriez-vous la défendre devant les juges d’enfer, tels que vos poètes nous les représentent, puisqu’elle est parmi ces infortunés
« Qui se sont donné la mont de leur propre main, et sans avoir commis aucun crime, on haine de l’existence, ont jeté leurs âmes au loin... »
Veut-elle revenir au jour ?
« Le destin s’y oppose et elle est arrêtée par l’onde lugubre du marais qu’on ne traverse pas2 ».
Mais peut-être n’est-elle pas là ; peut-être s’est elle tuée parce qu’elle se sentait coupable; peut-être (car qui sait, elle exceptée, ce qui se passait en son âme), touchée en secret par la volupté, a-t-elle consenti au crime, et puis, regrettant sa faute, s’est-elle tuée pour l’expier, mais, dans ce cas même, son devoir était, non de se tuer, mais d’offrir à ses faux jeux une pénitence salutaire. Au surplus, si les choses se sont passées ainsi, si on ne peut pas dire « Ils étaient deux, un seul fut adultère » ; si tous deux ont commis le crime, l’un par une brutalité ouverte, l’autre par un secret consentement, il n’est pas vrai alors qu’elle ait tué une femme innocente, et ses savants défenseurs peuvent soutenir qu’elle n’habite point cette partie des enfers réservée à ces infortunés « qui, purs de tout crime, se sont « arraché la vie ». Mais il y a ici deux extrémités inévitables : veut-on l’absoudre du crime d’homicide? on la rend coupable d’adultère ; l’adultère est-il écarté ? il faut qu’elle soit homicide ; de sorte qu’on ne peut éviter cette alternative : si elle est adultère, pourquoi la célébrer? si aile est restée chaste, pourquoi s’est-elle donné la mort ?
Quant à nous, pour réfuter ces hommes étrangers à toute idée de sainteté qui osent insulter les vierges chrétiennes outragées dans la captivité, qu’il nous suffise de recueillir cet éloge donné à l’illustre Romaine : « Ils étaient deux, un seul fut adultère ». On n’a pas voulu croire, tant la confiance était grande dans la vertu de Lucrèce, qu’elle se fût souillée par la moindre complaisance adultère. Preuve certaine que, si elle s’est tuée pour avoir subi un outrage auquel elle n’avait pas consenti, ce n’est pas l’amour de la chasteté qui a armé son bras, mais bien la faiblesse de la honte. Oui, elle a senti la honte d’un crime commis sur elle, bien que sans elle. Elle a craint, là fière Romaine, dans sa passion pour la gloire, qu’on ne pût dire, en la voyant survivre à son affront, qu’elle y avait consenti. A défaut de l’invisible secret de sa conscience, elle a voulu que sa mort fût un témoignage écrasant de sa pureté, persuadée que la patience serait contre elle un aveu de complicité.
Telle n’a point été la conduite des femmes chrétiennes qui ont subi la même violence. Elles ont voulu vivre, pour ne point venger sur elles le crime d’autrui, pour ne point commettre un crime de plus, pour ne point ajouter l’homicide à l’adultère; c’est en elles-mêmes qu’elles possèdent l’honneur de la chasteté, dans le témoignage de leur conscience; devant Dieu, il leur suffit d’être assurées qu’elles ne pouvaient rien faire de plus sans mal faire, résolues avant tout à ne pas s’écarter de la loi de Dieu, au risque même de n’éviter qu’à grand’peine les soupçons blessants de l’humaine malignité.