II --- AU DIACRE AURÉLIUS - DE LA MORT ET DE L'APPARITION DU BIENHEUREUX MARTIN
Sulpice Sévère, au diacre Aurélius, salut. --- Ce matin, après votre départ, j'étais seul dans ma cellule, méditant, à mon ordinaire, sur les espérances de la vie future, le dégoût des choses de ce monde, la crainte du jugement et des peines, et ces pensées avaient naturellement fait naître en moi le souvenir de mes fautes, ce qui me remplissait de tristesse et d'accablement. Ensuite, le cur fatigué de ces angoisses, je me jetai sur mon lit, et bientôt le sommeil s'empara de moi, effet ordinaire de la tristesse (c'était ce demi-sommeil du matin, si inquiet et si léger, qu'on veille presque en se sentant dormir, ce qu'on n'éprouve pas dans le sommeil ordinaire), lorsque tout à coup il me sembla voir le saint évêque Martin, revêtu d'une robe blanche, le visage enflammé, les yeux et les cheveux resplendissants de lumière. Il me semblait retrouver en lui les mêmes formes, les mêmes traits qu'il avait autrefois, et, chose inexprimable ! je ne pouvais fixer mes yeux sur lui, et cependant je le reconnaissais. Il me regardait en souriant, et tenait à la main le livre que j'ai écrit sur sa vie ; quant à moi, j'embrassais ses genoux sacrés, et, selon ma coutume, je lui demandais sa bénédiction. Je sentais sur ma tête le doux contact de sa main, tandis que, dans la formule ordinaire de la bénédiction, il répétait souvent le nom de la croix, qui lui était si familier. Bientôt, comme je le considérais attentivement, sans pouvoir me rassasier de sa vue, il s'éleva subitement, et je le suivis des yeux, traversant sur une nuée l'immensité des airs, jusqu'à ce qu'il disparût dans le ciel entr'ouvert. Peu de temps après, je vis le saint. prêtre Clair, son disciple, mort peu auparavant, suivre le même chemin que son maître. Dans ma téméraire audace, je voulus les suivre ; mais les efforts que je fis pour m'élever en l'air me réveillèrent. Je me réjouissais de cette vision, lorsqu'un de mes plus intimes serviteurs entra avec un visage plus triste qu'à l'ordinaire, et qui laissait voir toute la douleur qui l'accablait : « Qu'as-tu ? lui dis-je ; d'où vient cette tristesse ? --- Deux moines arrivent de Tours, dit -il ; ils annoncent la mort du seigneur Martin. » Je l'avoue, cette nouvelle me consterna, et un torrent de larmes échappa de mes yeux. Elles coulent encore, cher frère, au moment où je vous écris ces lignes ; rien ne peut consoler mon amère douleur. Lorsque cette nouvelle me fut annoncée, je voulus vous faire partager mon affliction, vous qui partagiez aussi mon amour pour Martin.
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