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Car pourquoi appeler paix ce qui ne sent que l'esprit de domination? et pourquoi ne pas donner aux choses les noms qui leur conviennent? Qu'on donne le nom d'inimitié à des haines déclarées, mais qu'on n'appelle paix que cette union solide et sincère que forme la charité. Nous ne rompons point l'unité de l'Église, nous ne nous séparons point de la communion de nos pères ; nous pouvons nous vanter au contraire d'avoir sucé, pour ainsi dire, la foi catholique avec le lait. Il n'est point de chrétien plus uni à l'Église que celui qui ne s'en est jamais séparé par l'hérésie; mais nous ne savons ce que c'est qu'une paix sans charité et une communion sans paix. Nous savons ce que dit l'Évangile : « Si, lorsque vous présentez votre don à l'autel, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose contre vous, laissez là votre don devant l'autel et allez vous réconcilier auparavant avec votre frère, et puis vous viendrez offrir votre don. » Que s'il n'est pas permis à celui qui n'est point en paix avec son frère d'offrir un présent à l'autel, lui sera-t-il permis d'y recevoir le corps adorable de Jésus-Christ? Et moi, en quelle conscience oserai-je approcher de la sainte Eucharistie, et répondre amen, si je crois que celui qui me la donne n'a pas la charité dans le coeur?
Donnez-vous, je vous prie, la patience de m'entendre, et ne prenez pas la vérité que je vais vous dire pour une basse flatterie. A-t-on jamais eu la moindre répugnance de communiquer avec vous? Est-il jamais arrivé qu'au moment où vous donniez la communion, on ait détourné le visage en tendant la main pour la recevoir? Avez-vous jamais reçu au milieu de ce banquet sacré un baiser de Judas? Aussi ne craignons-nous pas de vous dire que les moines, bien loin d'appréhender votre arrivée, l'ont souhaitée et s'en sont réjouis. On les a vus sortir du fond de leurs déserts, et s'empresser à l'envi de vous donner des marques de leur respect et de leur soumission. Qui les a portés à cela, sinon l'amour sincère qu'ils ont pour vous? Oui, je le dis, c'est cet amour seul qui a pu réunir ce nombre infini de moines de tant de solitudes écartées; car si un père doit aimer ses enfants, les enfants aussi doivent réciproquement aimer leur père et leur évêque, mais d'un amour tendre et sincère et où la crainte n'ait point de part. On dit ordinairement qu'on hait celui que l'on craint, et qu'on ne peut s'empêcher de souhaiter la ruine de celui qu'on fait. Aussi l'Ecriture sainte nous apprend-elle que «la charité, quand elle est parfaite, bannit la crainte » qui est la vertu des commençants. Vous ne cherchez point à vous assujettir les solitaires, mais c'est cela même qui vous les rend plus soumis. Vous leur offrez le baiser, et ils plient la tête sous le joug que vous voudrez leur imposer; vous ne voulez combattre avec eux qu'en simple soldat, et ils se font un honneur de vous choisir pour leur chef et de combattre sous vos enseignes; vous ne dédaignez pas de vous mêler avec eux comme leur égal, et c'est ce qui les engage à vous regarder comme leur maître. La liberté est ennemie de la servitude, et elle se révolte dès que l'on pense à l'opprimer. On obtient tout d'un homme libre dès qu'on ne le traite point en esclave. Nous savons les canons de l'Église, nous n'ignorons point le rang que chacun doit tenir, et nous sommes dans un âge où les lectures continuelles, les fréquents exemples et une longue expérience ont dû nous apprendre bien des choses. Un roi ne tarde guère à démembrer le royaume de David, ce prince si doux et si pacifique, lorsqu'il1 «châtie ses sujets avec des verges de fer, » et qu'il se vante d'avoir « les doigts plus gros que n'était le dos de son père.» Le peuple romain ne put pas même souffrir l'orgueil dans un de ses rois2.
