4.
Permettez-moi de leur adresser la parole que le prophète Elie adressait à ceux de son temps. Ce saint homme voyant les Juifs se livrer à l'impiété, et tantôt obéir à Dieu, tantôt servir les idoles, leur parla ainsi : Jusques à quand serez-vous comme un homme qui boite des deux jambes? Si le Seigneur Dieu est avec vous, allez, marchez et sa suite; mais si c'est Baal qui est Dieu, marchez à sa suite. (III Rois, XVIIII, 21.) J'en dirai autant à nos judaïsants. Si vous croyez que le judaïsme soit la vérité, pourquoi importunez-vous l'Eglise ? Mais, si le christianisme est vrai , comme il l'est en effet, restez-y et suivez-le. Vous participez aux mystères; comme chrétiens, vous adorez Jésus-Christ, vous lui demandez des grâces; et vous célébrez des fêtes avec ses ennemis? Et dans quelle intention, après cela, vous présentez vous à l'église?
J'en ai dit assez pour l'instruction de ceux qui, tout en faisant profession de christianisme, suivent cependant les usages judaïques; mais, comme j'ai l'intention de m'élever aussi contre les Juifs, permettez-moi de faire l'instruction plus longue, et de montrer comment ils outragent la Loi, en jeûnant comme ils font, et foulent aux pieds les commandements de Dieu, eu faisant toujours le contraire de ce qui plaît à Dieu. En effet, quand il leur faisait un devoir de jeûner, ils s'engraissaient au milieu des festins ; mais quand il ne veut plus qu'ils jeûnent, ils s'obstinent à jeûner; quand il leur ordonnait, d'offrir un sacrifice en son honneur, ils couraient sacrifier aux idoles; quand il ne veut plus qu'ils célèbrent leurs fêtes, ils s'empressent de les célébrer. C’est pourquoi Etienne leur dit : Vous résistez toujours à l'Esprit-Saint. (Act. VII, 51.) Vous avez mis toute votre application, dit-il, à faire le contraire de ce que Dieu vous ordonnait, et c'est ce qu'ils font encore maintenant. Qu'est-ce qui le prouve ? La Loi même.
Dans les fêtes des Juifs, en effet, la Loi a prescrit d'observer, non-seulement le temps, mais aussi le lieu des sacrifices. Voici ce que la Loi leur prescrit touchant la pâque: Vous ne pourrez faire la pâque indistinctement dans toutes les villes que le Seigneur votre Dieu vous donne (Deut. XVI, 5-6) ; la Loi ne prescrit donc pas seulement de faire la pâque le quatorzième jour du premier mois, mais encore de la faire à Jérusalem. Elle a également renfermé la célébration de la Pentecôte dans l'observation du temps et du lieu. Ainsi en est-il encore de la fête des Tabernacles. Mais voyons de ces deux prescriptions, le temps et le lieu, laquelle est la plus nécessaire, voyons laquelle des deux doit être observée de préférence lorsqu'il y a impossibilité de les observer toutes les deux. Est-ce le temps qui doit passer avant le lieu, ou le lieu avant le temps? Je m'explique avec plus de précision. La Loi a ordonné de faire la pâque, le premier mois, et à Jérusalem, dans un temps et dans un lieu déterminés. Supposons donc deux hommes faisant la pâque, dont l'un transgresse la Loi sur le lieu , mais observe le temps ; dont l'autre observe le lieu, mais transgresse la Loi sur le temps; que celui qui a observé le temps, mais transgresse la Loi sur le lieu, fasse la pâque dans le premier mois, mais quelque part loin de Jérusalem; et que celui qui a observé le lieu, mais transgressé la Loi sur le temps, la fasse à Jérusalem, non dans le premier mois, mais dans le second ; voyons lequel de ces deux hommes est blâmable, et lequel est louable; si c'est celui qui transgresse la Loi sur le temps, et fait la pâque dans le lieu légal ou celui qui néglige le lieu et garde le temps. Car, si celui qui enfreint la Loi sur le temps, pour faire la pâque dans la ville de Jérusalem, est loué pour sa conduite, et si, au contraire, celui qui observe le temps, mais néglige le lieu, peut être mis en jugement, et accusé pour cause d'impiété, il est bien évident que les Juifs transgressent aussi la Loi, en ne faisant pas la pâque dans le lieu désigné par la Loi : oui, ils auront beau répéter mille fois qu'ils observent le temps, ils n'en violent pas moins manifestement et gravement leur propre Loi. Moïse lui-même nous en fournira la preuve.
Voici ce qui arriva lorsque les Hébreux célébraient la fête de Pâques dans le désert; quelques-uns vinrent trouver Moïse, et lui dirent : Nous sommes devenus impurs parce que nous avons approché d'un corps mort; serons-nous privés d'offrir le don du Seigneur, en son temps, au milieu des enfants d'Israël ? Moïse leur répondit : Tenez-vous là, et j'attendrai ce que le Seigneur ordonnera à votre égard. Alors le Seigneur parla à Moïse, et lui dit Parle aux enfants d'Israël , et dis-leur : L'homme qui sera devenu impur pour avoir approché d'un corps mort, ou qui sera parti pour un long voyage, soit parmi vous, soit parmi vos descendants, fera la pâque dans le second mois. (Nomb. IX, 7-11.) C'est-à-dire Si quelqu'un est en voyage pendant le premier mois, qu'il ne fasse pas la pâque hors de Jérusalem, mais dans le second mois, afin de pouvoir aller à Jérusalem, et qu'il transgresse la Loi sur le temps, afin de ne pas sacrifier hors de la ville; ce qui montre que l'observation du lieu est plus nécessaire que l'observation du temps. Qu'ont-ils donc à dire les Juifs qui font la pâque hors de la ville ? Certes, quand ils transgressent ce qui est plus nécessaire, l'observation de ce qui est moins important ne pourra leur servir de justification. Qu'ils observent tant qu'ils voudront la loi relative au temps, ils n'en violent pas moins la Loi de la manière la plus grave.
Nous pouvons encore le prouver par des textes empruntés aux prophètes. En effet, on ne voit pas les Juifs contemporains des prophètes sacrifier, ni chanter aucun cantique sur la terre étrangère (Ps. CXXXVI, 4), ni observer aucun jeûne : or, les Juifs d'aujourd'hui font tout le contraire; comment donc ne seraient-ils pas condamnés? Les anciens Juifs dociles à la Loi suspendaient leurs sacrifices, leurs jeûnes et leurs fêtes durant la captivité, et cela lorsqu'ils avaient l'espoir, et même l'assurance de recouvrer leurs institutions avec leur premier état et leur patrie. Des prophéties contenues dans leur Loi leur donnaient cette assurance. Les Juifs, aujourd'hui, n'ont plus. d'espérances semblables; car, qu'ils me montrent les prophéties sur lesquelles ils se fonderaient pour espérer de voir renaître leurs premières institutions ; néanmoins ils persistent, en dépit de la Loi, à garder leurs observances. Quand même ils espéreraient recouvrer leur indépendance et leur patrie ; ils devraient encore imiter l'exemple de leurs pères, et comme eux s'abstenir de jeûner et de célébrer leurs fêtes.
