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Et pourquoi, dit-on, Dieu les a-t-il ordonnées, s'il ne. voulait pas qu'elles fussent observées? — Et s'il voulait qu'elles fussent observées, répondrai-je, pourquoi a-t-il renversé la ville de Jérusalem? En effet, si Dieu avait voulu la conservation et la durée des observances légales, il n'avait que deux partis à prendre : il t'allait ou bien ne pas prescrire de ne sacrifier nulle part ailleurs que dans le temple de Jérusalem, puisqu'il se proposait de vous disperser sur tous les points de la terre ; ou bien , s'il voulait que vous lui offrissiez le sacrifice en ce lieu-là seulement, ne pas vous disperser sur tous les points de la terre, ni rendre inaccessible pour vous la ville dans laquelle seule il vous a permis d'offrir le sacrifice.
Quoi donc ? défendre de sacrifier hors de Jérusalem, et ensuite fermer l'entrée de Jérusalem, n'est-ce pas une contradiction ? Dieu se contredit-il? Point du tout; Dieu est parfaitement d'accord avec lui-même. Dès l'origine, il ne voulait pas que vous lui offrissiez de sacrifices, et j'en prends à témoin le Prophète lui-même qui dit: Ecoutez la parole du Seigneur, princes de Sodome; soyez attentifs à la loi de votre Dieu, peuple de Gomorrhe (Is. I, 10); paroles qui ne s'adressent pas aux habitants de Sodome et de Gomorrhe, mais aux Juifs, qu'il appelle ainsi, parce qu'ils ont pour ainsi dire contracté une parenté avec eux, par l'imitation de leur malice. C'est ainsi qu'il les appelle encore des chiens (Is. LVI, 10) et des chevaux lascifs (Jérém. V, 8), non qu'ils soient descendus jusqu'à la nature, mais jusqu'à la lubricité de ces animaux. Qu'ai-je à faire de la multitude de vos victimes ? dit le Seigneur. (Is. I, 11.) Et comme ceux qui habitaient Sodome n'offraient pas de victimes au Seigneur, c'est donc aux Juifs qu'il adresse la parole, en leur donnant les noms de ces peuples abominables dont ils imitaient la corruption : Qu'ai-je à faire de la multitude de vos victimes? dit le Seigneur. Je suis rassasié des holocaustes de béliers, et je ne veux pas de la graisse des agneaux, ni du sang des taureaux et des boucs, même si vous veniez en ma présence. Car, qui vous a demandé d'avoir tous ces dons en vos mains? (Is. II, 11 et suiv.) Vous l'entendez, le Prophète dit assez clairement que Dieu ne demandait pas ces sacrifices à l'origine. S'ils eussent été nécessaires, il les eut imposés à ces grands hommes dont la vertu a jeté un si vif éclat dans les temps anciens. Pourquoi les a-t-il exigés plus tard? C'était pour s'accommoder à notre faiblesse. Quand un médecin voit un homme ayant la fièvre, devenir morose, impatient, désirer boire froid et menacer, si on le lui refuse, de se pendre, ou de se précipiter, il permet un moindre mal pour en éviter un plus grand; il permet les boissons froides pour empêcher une mort violente; telle est la conduite que Dieu a tenue à l'égard des Juifs. Quand il vit ces insensés désirer les sacrifices avec une avidité inquiète, et prêts, si on ne les leur accordait, à passer au culte des idoles, non-seulement prêts à le faire, mais l'ayant déjà fait; il leur permit d'offrir ces sacrifices, objets de leurs désirs.
Que telle ait été la raison de l’institution des sacrifices sanglants , le temps où ils furent établis le prouve suffisamment, En effet, c'est après une fête que les hébreux avaient célébrée en l'honneur des démons, que Dieu leur permit les sacrifices; il semblait leur dire Puisque vous ne pouvez résister à la passion qui vous presse de sacrifier, au moins sacrifiez en mon honneur. Toutefois cette permission ne fut pas accordée pour toujours, et Dieu l'a retirée avec une prudence admirable. Je suppose que le médecin (car rien n'empêche que nous ne nous servions encore une fois de la même comparaison), après avoir cédé au désir du malade, lui ordonne de ne boire froid que dans une fiole qu'il a apportée de chez lui, puis, quand il l'a persuadé de garder fidèlement cette prescription, qu'il commande en secret à ceux qui servent, de briser la fiole, pour faire cesser ce désir dangereux sans exciter la défiance du malade. ainsi Dieu en permettant de sacrifier, n'a souffert qu'on le fit en aucun lieu du monde, si ce n'est à Jérusalem, puis,. quand le peuple Juif eut sacrifié quelque temps, il ruina la ville afin de le détourner de cette couvre, en détruisant la ville, comme le médecin, en brisant le vase. S'il eût dit impérativement : Cessez; ils n'eussent pas aisément renoncé à leur manie des sacrifices , tandis que la nécessité de venir à Jérusalem pour sacrifier devait les délivrer peu à peu de cette folie. Vous comprenez ma comparaison, vous en faites aisément l'application : le médecin, c'est Dieu; la fiole, c'est Jérusalem; le malade, c'est le peuple Juif; le désir et la permission de boire froid , c'est la passion et l'autorisation de sacrifier. En brisant le vase, le médecin fait taire la demande insensée du malade; ainsi Dieu a détourné des sacrifices en ruinant la ville, et en la pendant inaccessible à tous les Juifs: tel est le stratagème dont Dieu s'est servi. Si ce n'était pas un stratagème, pourquoi aurait-il renfermé ce culte en un seul lieu, lui qui est présent partout, et qui remplit tout? Pourquoi, après avoir concentré l'adoration dans les sacrifices, les sacrifices en un lieu, le lieu en un temps, et le temps dans la durée d'une seule ville, a-t-il ruiné la ville choisie? Ce qu'il y a d'étonnant et d'incroyable, c'est que les Juifs ont le pouvoir d'occuper le monde entier, où il ne leur est pas permis de sacrifier, tandis que Jérusalem, la seule ville où il soit permis. de sacrifier, est la seule aussi qui leur soit inaccessible. N'est-elle donc pas claire et évidente, même pour ceux qui sont tout à fait privés d'intelligence, la cause de cette destruction? Comme un architecte qui a posé les fondements, élevé les murs, arrondi les voûtes, et lié toutes les voûtes à une seule pierre placée au milieu, s'il vient à ôter cette pierre, détruit toute la liaison de l'édifice ; ainsi Dieu, ayant fait de la ville de Jérusalem comme une clef de voûte du culte, a détruit, en la renversant ensuite, tout le reste de l’édifice de cette institution.
