CHAPITRE II. IL ENSEIGNE LA RHÉTORIQUE. — SON COMMERCE ILLÉGITIME AVEC UNE FEMME. — IL REJETTE LES OFFRES D’UN DEVIN.
2. J’enseignais alors la rhétorique, l’escrime de la faconde, maître vénal blessé par l’intérêt; je préférais pourtant, vous le savez, Seigneur, avoir ce qu’on appelle de bons disciples, et en toute simplicité, je leur apprenais l’artifice, non pour s’élever jamais contre la vie de l’innocent, mais pour sauver parfois une tête coupable. Et vous, mon Dieu, vous m’avez vu de loin chanceler sur la voie glissante, vous avez distingué, dans une épaisse fumée, les étincelles de cette probité qui me dévouait à l’instruction de ces amateurs de vanité, de ces chercheurs de mensonge dont j’étais le compagnon.
En ces mêmes années, j’avais une femme qui ne m’était pas unie par la sainteté du mariage, mais que l’imprudence d’un vague désir m’avait fait trouver. Seule femme toutefois que je connusse; je lui gardais la foi; mais je ne laissais pas de mesurer par ma propre expérience tout l’intervalle qui sépare les convenances d’une légitime union, dont la fin est de transmettre la vie, et cette liaison de voluptueuses amours, dont les fruits naissent contre nos voeux, quoique leur naissance force notre tendresse.
3. Je me souviens encore qu’ayant voulu disputer au concours le prix d’un chant scénique, un devin me fit demander ce que je lui donnerais pour remporter la victoire; mais, plein d’horreur de ces abominables sacrilèges, je (387) répondis que, s’agît-il d’une couronne d’or impérissable, je ne souffrirais pas que ma victoire coûtât la vie à une mouche. Je savais qu’il immolerait un odieux sacrifice d’animaux, pour me gagner par cette offrande les suffrages des démons. Mais ce ne fut pas au regard de votre chaste amour que je répudiai ce crime, ô Dieu de mon coeur! je ne savais pas vous aimer, ne pouvant concevoir que des splendeurs corporelles. Et l’âme qui soupire après de telles chimères ne vous est-elle pas infidèle, courtisane du mensonge, pâture des vents? Et je ne voulais pas que pour moi l’on sacrifiât aux démons, à qui ma superstitieuse créance me sacrifiait chaque jour. Mais n’est-ce pas repaître les vents (Osée, XII, 1) que d’alimenter ces esprits qui font de nos erreurs leurs malignes délices?
