CHAPITRE VIII. SA DOULEUR DIMINUE AVEC LE TEMPS.
13. Le temps n’est pas oisif; et nos sentiments portent la trace de son cours; il fait dans notre âme de merveilleuses oeuvres. Et il venait, il passait jour à jour, et son flot m’apportait d’autres images, d’autres souvenirs, et me rendait peu à peu le goût de mes premières joies ; ma douleur se repliait devant elles : et c’étaient, sinon de nouvelles douleurs, du moins des germes d’afflictions futures que je semais en moi. Car la douleur eût-elle si facilement pénétré dans l’intimité de mon être, si je n’avais répandu mon âme sur le sable, en aimant un mortel comme s’il ne devait pas mourir? Or, je trouvais distraction et soulagement dans les consolations de mes amis qui aimaient avec moi ce que j’aimais au lieu de vous. Longue fiction, long mensonge, voluptés adultères de l’esprit, stimulées par le commerce de la parole. Mais si l’un de mes amis venait à mourir, ce mensonge ne laissait pas de vivre.
Ces liaisons s’emparaient de mon âme par des charmes encore plus puissants; échanges de doux propos, d’enjouement, de bienveillants témoignages; agréables lectures, badinages honnêtes, affectueuses civilités; rares dissentiments, sans aigreur, comme on en a avec soi-même; léger assaisonnement de contradiction, sel qui relève l’unanimité trop constante; instruction réciproque; impatients regrets des amis absents, joyeux accueil à leur bienvenue.
Tous ces doux témoignages que les coeurs amis expriment de l’air, de la langue, des yeux, par mille mouvements pleins de caresses, sont comme autant de foyers où les esprits se fondent et se réduisent à l’unité.
