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Cela posé et bien compris, autant que le demande le sujet qui nous occupe, reporte-toi maintenant à ce que nous appelons forces dans les animaux, et dis-moi si nous y voyons une application de cette loi. Car les corps des animaux ont leur pesanteur; qui pourrait le nier? Et cette pesanteur qui se meut à la volonté de l'âme, fait beaucoup par elle-même du côté où elle incline.
Pour mouvoir le poids du corps, la volonté de l'âme se sert des nerfs comme de machines; et ce qui rend ces nerfs plus vigoureux et plus souples, c'est la sécheresse et une chaleur modérée, tandis qu'un froid humide les détend et les affaiblit. Aussi le sommeil, qui, selon l'assertion des médecins et la preuve qu'ils en donnent, est froid ou humide, laisse-t-il une certaine langueur à nos membres; d'où il arrive que le mouvement d'un homme qui s'éveille est d'une extrême lenteur, et que rien n'est plus mou, plus énervé qu'un homme en léthargie. Quant aux frénétiques, en qui les veilles, la force du vin, la violence de la fièvre et tant d'échauffants, opèrent une tension et une résistance nerveuse démesurée, il est manifeste qu'ils peuvent déployer dans la lutte et dans beaucoup d'actes plus d'énergie qu'en pleine santé, quoique leur corps soit affaibli et épuisé par la maladie. Si donc l'énergie de l'âme, un certain appareil nerveux, et le poids du corps constituent ce que nous appelons les forces; si de la volonté vient cette énergie, que rend plus prompte l'espérance ou l'audace, que réprime la crainte, et plus encore le désespoir; car, dans un moment de crainte, à la moindre lueur d'espérance, il est d'ordinaire que nos forces se surexcitent; s'il appartient à la configuration des corps d'ajuster l'appareil nerveux, à la mesure de la santé de le modifier, et au travail de l'exercice de l'affermir; si le poids vient de la grosseur des membres, laquelle s'acquiert par l'âge et la nourriture et s'entretient par les seuls aliments; quand un homme est également pourvu de toutes ces ressources, il a des forces prodigieuses, et la faiblesse d'un autre est à proportion du défaut de ces mêmes ressources. Il arrive même souvent qu'avec une volonté obstinée, et des nerfs plus solides, un homme de petite taille triomphe d'un autre dont la stature l'emporte sur la sienne. Parfois encore il arrive que, grâce à son grand poids, un homme agissant avec peu d'énergie accable un adversaire plus petit, et dont les efforts sont beaucoup plus violents. Or, quand ce n'est plus ni le poids du corps, ni le jeu des nerfs, mais la volonté ou plutôt l'âme qui s'affaisse, et que le plus robuste est vaincu par un homme plus faible à tout point de vue, parce que la timidité le cède à l'audace; je ne sais s'il faut y voir un effet de la force. Peut-être cependant pourrait-on attribuer à l'âme des forces qui lui inspirent courage et confiance; mais comme elles se montrent chez l'un pour disparaître chez l'autre, il est facile de comprendre la supériorité de l'esprit sur le corps, même quand il agit au moyen du corps.
