CHAPITRE VI.
DES LANGUEURS AUXQUELLES SONT SUJETS, EN PUNITION DU PÉCHÉ, LES CITOYENS MÊMES DE LA CITÉ DE DIEU, ET DONT ILS SONT ENFIN DÉLIVRÉS PAR LA GRACE.
Cette langueur, c’est-à-dire cette désobéissance dont nous avons parlé au quatorzième livre1, est la peine de la désobéissance du premier homme, et ainsi elle ne vient pas de la nature, mais du vice de la volonté; c’est pourquoi il est dit aux bons, qui s’avancent dans la vertu et qui vivent de la foi dans ce pèlerinage: « Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez la loi de Jésus- Christ2 » ; et dans un autre endroit: « Reprenez ceux qui sont turbulents, consolez les affligés, supportez les faibles, et soyez débonnaires à tout le monde. Prenez garde de ne point rendre le mal pour le mal3 »; et encore : « Si quelqu’un est tombé par surprise en quelque péché, vous qui êtes spirituels, reprenez-le avec douceur, songeant que vous pouvez être tentés de même4 » et ailleurs: «Que le soleil ne se couche point sur votre colère5 » ; et dans l’Evangile: « Lorsque votre frère vous a offensé, reprenez-le en particulier entre vous et lui6 ». L’Apôtre dit aussi, à l’occasion des péchés où l’on craint le scandale: « Reprenez devant tout le monde ceux qui ont commis quelque crime, afin de donner de la crainte aux autres7». L’Ecriture recommande vivement pour cette raison le pardon des injures, afin d’entretenir la paix, sans laquelle personne ne pourra voir Dieu «. De là ce terrible jugement contre ce serviteur que l’on condamne à payer les dix mille talents qui lui avaient été remis, parce qu’il n’en avait pas voulu remettre cent à un autre serviteur comme lui. Après cette parabole, Notre-Seigneur Jésus-Christ ajouta : « Ainsi vous traitera votre Père qui est dans les cieux, si chacun de vous ne pardonne à son frère du fond du cœur8 ». Voilà comme sont guéris les citoyens de la cité de Dieu, qui sont voyageurs ici-bas et qui soupirent après le repos de la céleste patrie. Mais c’est le Saint-Esprit qui opère au dedans et qui donne la vertu aux remèdes qu’on emploie au dehors. Quand Dieu lui-même se servirait des créatures qui lui sont soumises, pour nous parler en songes ou de toute autre manière, cela serait inutile, si en même temps il ne nous touchait l’âme d’une grâce intérieure. Or, il en use de la sorte lorsque, par un jugement très-secret, mais très-juste, il sépare des vases de colère les vases de miséricorde. Si, en effet, à l’aide du secours qu’il nous prête par des voies cachées et admirables, le péché qui habite dans nos membres, ou plutôt la peine du péché, ne règne point dans notre corps mortel, si, domptant ses désirs déréglés, nous ne lui abandonnons point nos membres pour accomplir l’iniquité9, notre esprit acquiert dès ce moment un empire sur nos passions qui les rend plus modérées, jusqu’à ce que, parfaitement guéri et revêtu d’immortalité , il jouisse dans le ciel d’une paix souveraine.
