CHAPITRE XVII.
DES DEUX CHEFS DE L’UNE ÉT L’AUTRE CITÉ ISSUS DU MÊME PÈRE.
Comme Adam était le père de ces deux sortes d’hommes, tant de ceux qui appartiennent à la cité de la terre que de ceux qui composent la Cité du ciel, après la mort d’Abel, qui figurait un grand mystère1, il y eut deux chefs de chaque cité, Caïn et Seth, dans la postérité de qui l’on voit paraître des marques plus évidentes de ces deux cités. En effet, Caïn engendra Enoch et bâtit une cité de son nom, laquelle n’était pas étrangère ici-bas, mais citoyenne du monde, et mettait son bonheur dans la possession paisible des biens temporels. Or, Caïn veut dire Possession, d’où vient que quand il fut né, son père ou sa mère dit: « J’ai acquis2 un homme parla grâce de Dieu3 »; et Enoch signifie Dédicace, à cause que la cité de la terre est dédiée en ce monde même où elle est fondée, parce que dès ce monde elle atteint le but de ses désirs et de ses espérances. Seth, au contraire, veut dire Résurrection, et Enos, son fils, signifie Homme, non comme Adam qui, en hébreu, est un nom commun à l’homme et à la femme, suivant cette parole de l’Ecriture : «Il les créa homme et femme, et les bénit et les nomma Adam4 »; ce qui fait voir qu’Eve s’appelait aussi Adam, d’un nom commun aux deux sexes. Mais Enos signifie tellement un homme, que ceux qui sont versés dans la langue hébraïque assurent qu’il ne peut pas être dit d’une femme; Enos est en effet le fils de la résurrection, où il n’y au-ra plus de mariage5 ; car il n’y aura point de génération dans l’endroit où la génération nous aura conduits. Je crois, pour cette raison, devoir remarquer ici que, dans la généalogie de Seth, il n’est fait nommément mention d’aucune femme6, au lieu que, dans celle de Caïn, il est dit: « Mathusalem engendra Lamech, et Lamech épousa deux femmes, l’une appelée Ada, et l’autre Sella, et Ada enfanta Jobel. Celui-ci fut le père des bergers, le premier qui habita dans des cabanes. Son frère s’appelait Jubal, l’inventeur de la harpe et de la cithare. Sella eut à son tour Thobel, qui travaillait en fer et en cuivre. Sa soeur s’appelait Noéma7 ». Là finit la généalogie de Caïn, qui est toute comprise en huit générations en comptant Adam, sept jusqu’à Lamech, qui épousa deux femmes, et la huitième dans ses enfants, parmi lesquels l’Ecriture fait mention d’une femme. Elle insinue par là qu’il y aura des générations charnelles et des mariages jusqu’à la fin dans la cité de la terre; et de là vient aussi que les femmes de Lamech, le dernier de la lignée de Caïn, sont désignées par leurs noms, distinction qui n’est point faite pour d’autres que pour Eve avant le déluge. Or, comme Caïn, fondateur de la cité de la terre, et son fils Enoch, qui nomma cette cité, marquent par leurs noms, dont l’un signifie possession et l’autre dédicace, que cette même cité a un commencement et une fin, et qu’elle borne ses espérances à ce monde-ci, de même Seth, qui signifie résurrection, étant le père d’une postérité dont la généalogie est rapportée à part, il est bon de voir ce que l’Histoire sainte dit de son fils.
