CHAPITRE XIV.
LES ANNÉES ÉTAlENT AUTREFOIS AUSSI LONGUES QU’ À PRÉSENT.
Je vais maintenant prouver jusqu’à l’évidence que durant le premier âge du monde les années n’étaient pas tellement courtes qu’il en fallût dix pour en faire une des nôtres, mais qu’elles égalaient en durée celles d’aujourd’hui que règle le cours du soleil. Voici en effet ce que porte l’Ecriture: « Le déluge arriva sur la terre l’an 600 de la vie de Noé, au second mois, le vingt-septième jour du mois ». Comment s’exprimerait-elle de la sorte si les années des anciens n’avaient que trente-six jours? Dans ce cas, ou ces années n’auraient point eu de mois, ou les mois n’auraient été que de trois jours, pour qu’il s’en trouvât douze dans l’année. N’est-il pas visible que leurs mois étaient comme les nôtres, puisque, autrement, l’Ecriture sainte ne dirait pas que le déluge arriva le vingt-septième jour du second mois? Elle dit encore un peu après, à la fin du déluge: « L’arche s’arrêta sur les montagnes d’Ararat le septième mois, le vingt-septième jour du mois. Cependant les eaux diminuaient jusqu’à l’onzième mois; or, le premier jour de ce mois, on vit paraître les sommets des montagnes1 ». Que si leurs mois étaient semblables aux nôtres, il faut étendre cette similitude à leurs années. Ces mois de trois jours n’en pouvaient pas avoir vingt-sept; ou si la trentième partie de ces trois jours s’appelait alors un jour, un si effroyable déluge qui, selon l’Ecriture, tomba durant quarante jours et quarante nuits, se serait donc fait en moins de quatre de nos jours. Qui pourrait souffrir une si palpable absurdité? Loin, bien loin de nous cette erreur qui ruine la foi des Ecritures sacrées, en voulant l’établir sur de fausses conjectures ! Il est certain que le jour était aussi long alors qu’à présent, c’est-à-dire de vingt-quatre heures, les mois égaux aux nôtres et réglés sur le cours de la lune, et les années composées de douze mois lunaires, en y ajoutant cinq jours et un quart, pour les ajuster aux années solaires, et par conséquent ces premiers hommes vécurent plus de neuf cents années, lesquelles étaient aussi longues que les cent soixante-quinze que vécut ensuite Abraham2, que les cent quatre-vingts que vécut Isaac3, que les cent quarante ou environ que vécut Jacob4, que les cent vingt que vécut Moïse5, et que les soixante-dix ou quatre-vingts que les hommes vivent aujourd’hui et dont il est dit: « Si les plus robustes vont jusqu’à quatre-vingts ans, ils en ont d’autant plus de mal6 ».
Quant à la différence qui se rencontre entre les exemplaires hébreux et les nôtres, elle ne concerne point du tout la longueur de la vie des premiers hommes, sur quoi les uns et les autres conviennent; ajoutez à cela que, lorsqu’il y a diversité, il faut plutôt s’en tenir à la langue originale qu’à une version. Cependant, ce n’est pas sans raison que personne n’a encore osé corriger les Septante sur l’hébreu, en plusieurs endroits où ils semblaient différents. Cela prouve qu’on n’a pas cru que ce défaut de concordance fût une faute, etje ne le crois pas non plus; mais, à la réserve des erreurs de copiste, lorsque le sens est conforme à la vérité, ou doit croire que les Septante ont changé le sens du texte, non en qualité d’interprètes qui se trompent, mais comme des prophètes inspirés par l’esprit de Dieu. De là vient que, lorsque les Apôtres allèguent quelques témoignages de l’Ancien Testament dans leurs écrits, ils ne se servent pas seulement de l’hébreu, mais de la version des Septante. Comme j’ai promis de traiter plus amplement cette matière au lieu convenable, où je pourrai le faire plus commodément, je reviens à mon sujet, et dis qu’il ne faut point douter que le premier des enfants du premier homme n’ait pu bâtir une cité à une époque où la vie des hommes était si longue: cité, au reste, bien différente de celle que nous appelons la Cité de Dieu, pour laquelle nous avons entrepris ce grand ouvrage.
