CHAPITRE VII.
LA TOUTE-PUISSANCE DE DIEU EST LA RAISON SUPRÊME QUE DOIT FAIRE CROIRE AUX MIRACLES.
Pourquoi donc Dieu ne pourrait-il pas faire que les corps des morts ressuscitent et que ceux des damnés soient éternellement tourmentés, lui qui a créé le ciel, la terre, l’air, les eaux et toutes les merveilles innombrables qui remplissent l’univers? L’univers lui-même n’est-il point la plus grande et la plus étonnante des merveilles? Mais nos adversaires, qui croient à un Dieu créateur de l’univers et qui le gouverne par le ministère des dieux inférieurs également créés de sa main, nos adversaires, dis-je, tout en se plaisant à exalter, bien loin de les méconnaître, les puissances qui opèrent divers effets surprenants (soit qu’elles agissent de heur propre gré, soit qu’on les contraigne d’agir par le moyen de certains rites ou même des invocations magiques), quand nous leur parlons de la vertu merveilleuse de plusieurs objets naturels, qui ne sont ni des animaux raisonnables, ni des esprits, ceux, par exemple, dont nous venons de faire mention, ils nous répondent: C’est leur nature; la nature leur a donné cette propriété : ce ne sont là que les vertus naturelles des choses. Ainsi la seule raison pour laquelle le sel d’Agrigente fond dans le feu et pétille dans l’eau, c’est que telle est sa nature. Or, il semble plutôt que ce soit là un effet contre nature, puisque la nature a donné au feu, et non à l’eau, la propriété de faire pétiller le sel; à l’eau, et non au feu, celle de le dissoudre. Mais, disent-ils, la nature de ce sel est d’être contraire au sel ordinaire. Voilà donc encore apparemment la belle explication qu’ils nous réservent de la fontaine des Garamantes, glacée dans le jour et bouillante pendant la nuit, et de cette source extraordinaire qui, froide à la main et éteignant comme toutes les autres les flambeaux allumés, allume les flambeaux éteints; il en sera de même de la pierre asbeste, qui, sans avoir une chaleur propre, une fois enflammée, ne petit plus s’éteindre, et enfin, de tant d’autres phénomènes qu’il serait fastidieux de rappeler. Ils ont beau être contre nature, on les expliquera toujours en disant que telle est la nature des choses. Explication très-courte, j’en conviens, et réponse très-satisfaisante. Mais puisque Dieu est l’auteur de toutes les natures, d’où vient que nos adversaires, quand ils refusent de croire une chose que nous affirmons, sous prétexte qu’elle est impossible, ne veulent pas convenir que nous-en donnions une explication meilleure que la leur, en disant que telle est la volonté du Tout-Puissant? car enfin Dieu n’est appelé de ce nom que parce qu’il peut faire tout ce qu’il veut. N’est-ce point lui qui a créé tant de merveilles surprenantes que j’ai rapportées, et qu’on croirait sans doute impossibles, si on ne les voyait de ses yeux, ou du moins s’il n’y en avait des preuves et des témoignages dignes de foi? Car pour celles qui n’ont d’autres témoins que les auteurs qui les rapportent, lesquels; n’étant pas inspirés des lumières divines, ont pu, comme. tous les hommes, être induits en erreur, il est permis à chacun d’en croire ce qu’il lui plaît.
Pour moi, je ne veux pas qu’on croie légèrement les prodiges que j’ai rapportés, parce que je ne suis pas moi-même assure (490) de leur existence, excepté ceux dont j’ai fait et dont chacun peut aisément faire l’expérience : ainsi, la chaux qui boue dans l’eau et demeure froide dans l’huile; la pierre d’aimant, qui ne saurait remuer un fétu et qui enlève le fer; la chair du paon, inaccessible à la corruption qui n’a pas épargné le corps de Platon; la paille, si froide qu’elle conserve la neige, et si chaude qu’elle fait mûrir les fruits; enfin le feu qui blanchit les pierres et noircit tous les autres objets. Il en est de même de l’huile qui fait. des taches noires, quoiqu’elle soit claire et luisante, et de l’argent qui noircit ce qu’il touche, bien qu’il soit blanc. C’est encore un fait certain que la transformation du bois en charbon : brillant, il devient noir; dur, il devient fragile; sujet à corruption, il devient incorruptible. J’ai vu tous ces effets et un grand nombre d’autres qu’il est inutile de rappeler. Quant à ceux que je n’ai pas vus, et que j’ai trouvés dans les livres, j’avoue que je n’ai pu les contrôler par des témoignages certains, excepté pourtant cette fontaine où les flambeaux allumés s’éteignent et les flambeaux éteints se rallument, et aussi ces fruits de Sodome, beaux au dehors, au dedans cendre et fumée. Cette fontaine, toutefois, je n’ai rencontré personne qui m’ait dit l’avoir vue en Epire; mais d’autres voyageurs m’ont assuré en avoir rencontré en Gaule une toute semblable, près de Grenoble. Et pour les fruits de Sodome, non-seulement des historiens dignes de foi, mais une foule de voyageurs l’assurent si fermement que je n’en puis douter.
Je laisse les autres prodiges pour ce qu’ils sont; je les ai rapportés sur la foi des historiens de nos adversaires, afin de montrer avec quelle facilité on s’en rapporte à leur parole en l’absence de toute bonne raison, tandis qu’on ne daigne pas nous croire nous-mêmes quand nous annonçons des merveilles que Dieu doit accomplir, sous prétexte qu’elles sont au-dessus de l’expérience. Nous rendons pourtant, nous, raison de notre foi; car quelle raison meilleure donner de ces merveilles qu’en disant : Le Tout-Puissant les a prédites dans les mêmes livres où il en a prédit beaucoup d’autres que nous avons vues s’accomplir? Celui-là saura faire, selon ce qu’il a promis, des choses qu’on juge impossibles, qui a déjà promis et qui a fait que les nations incrédules croiraient des choses impossibles.
