CHAPITRE V.
IL Y A BEAUCOUP DE CHOSES DONT NOUS NE POUVONS RENDRE RAISON ET QUI N’EN SONT PAS MOINS TRÈS-CERTAINES.
Et cependant, lorsque nous parlons aux infidèles des miracles de Dieu, passés ou futurs, dont nous ne pouvons leur prouver la vérité par des exemples, ils nous en demandent la raison; et comme nous ne saurions la leur donner, les miracles étant au-dessus de la portée de l’esprit humain, ils les traitent de fables. Qu’ils nous rendent donc raison eux-mêmes de tant de merveilles dont nous sommes ou dont nous pouvons être témoins! S’ils avouent que cela leur est impossible, ils doivent convenir aussi qu’il ne faut pas conclure qu’une chose n’a point été ou ne saurait être, de ce qu’on n’en peut rendre raison. Sans m’arrêter à une foule de choses passées dont l’histoire fait foi, je veux seulement rapporter ici quelques faits dont on peut s’assurer sur les lieux mêmes. On dit que le sel d’Agrigente, en Sicile, fond dans le feu et pétille dans l’eau; que chez les Garamantès1 il y a une fontaine si froide, le jour, qu’on n’en saurait boire, et si chaude, la nuit, qu’on n’y peut toucher. Oh en trouve une aussi dans l’Epire, où les flambeaux allumés s’éteignent et où les flambeaux éteints se rallument. En Arcadie, il y a une pierre qui, une fois échauffée, demeure toujours chaude, sans qu’on la puisse refroidir, et qu’on appelle pour cela asbeste2. En Egypte, le bois d’un certain figuier ne surnage pas comme les autres bois, mais coule au fond de l’eau ; et, ce qui est plus étrange, c’est qu’après y avoir séjourné quelque temps , il remonte à la surface, bien qu’une fois pénétré par l’eau il dût être plus pesant. Aux environs de Sodome, la terre produit des fruits que leur apparente maturité invite à cueillir, et qui tombent en cendre sous la main ou sous la dent qui les touche3. En Perse, il y a une pierre appelée pyrite, ainsi appelée parce qu’elle s’enflamme si on la presse fortement4, et une autre nommée sélénite, dont la blancheur intérieure croît et diminue avec la lune5. Les cavales de Cappadoce sont fécondées par le vent, et leurs poulains ne vivent pas plus de trois années. Dans l’Inde, le sol de l’île de Tylos est préféré à tous les autres, parce que les arbres n’y sont jamais dépouillés de leur feuillage6.
Que ces incrédules qui ne veulent pas ajouter foi à l’Ecriture sainte, sous prétexte qu’elle contient des choses incroyables, rendent raison, s’ils le peuvent, de toutes ces merveilles. Il n’y a aucune raison, disent-ils, qui fasse comprendre que la chair brûle sans être consumée, qu’elle souffre sans mourir. Grands raisonneurs, qui peuvent rendre raison de tout ce qu’il y a de merveilleux dans le monde! qu’ils rendent donc raison de ce peu que je viens de rapporter. Je ne doute point que si les faits cités plus haut leur étaient restés inconnus et qu’on vînt leur dire qu’ils doivent arriver un jour, ils n’y crussent bien moins encore qu’ils ne font aux peines futures que nous leur annonçons. En effet, qui d’entre eux voudrait nous croire, si, au lieu d’affirmer que les corps des damnés vivront et souffriront éternellement dans les flammes, nous leur disions qu’il y aura un sel qui fondra au feu et qui pétillera dans l’eau, une fontaine si chaude, pendant la fraîcheur de la nuit, qu’on n’osera y toucher, et si froide, dans la grande chaleur du jour, que personne n’y voudra boire ; une pierre qui brûlera ceux qui la presseront, et une autre, qui, une fois enflammée, ne pourra s’éteindre ? Si nous annoncions toutes ces merveilles pour le siècle futur, les incrédules nous répondraient: Voulez-vous que nous y croyions? rendez-nous-en raison. Ne faudrait-il pas alors avouer que cela n’est point en notre pouvoir, et que l’intelligence humaine est trop bornée pour pénétrer les causes de ces merveilleux ouvrages de Dieu? Mais nous n’en sommes pas moins assurés que Dieu ne fait rien sans raison, que rien de ce qu’il veut ne lui est impossible, et nous croyons tout ce qu’il annonce, parce que nous ne pouvons croire qu’il soit menteur ou impuissant. Que répondent cependant ces détracteurs de notre foi, ces grands chercheurs de raisons, quand nous leur demandons raison des merveilles qui existent sous nos yeux et de ces prodiges que la raison naturelle ne peut comprendre, puisqu’ils semblent contraires à la nature même des choses? Si nous les annoncions comme devant arriver, ne nous défieraient-ils pas d’en rendre raison, comme de tous les miracles que nous annonçons pour l’avenir? Donc, puisque la raison détaille et que la parole expire devant ces ouvrages de Dieu, que nos adversaires cessent de dire qu’une chose n’est pas ou ne peut pas être parce que la raison de l’homme ne peut l’expliquer. Cela n’empêche pas les faits que nous avons cités de se produire: cela n’empêchera pas les prodiges annoncés par la foi de s’accomplir un jour.
Peuple de l’Afrique. ↩
Asbeste, d’ asbestos , inextinguible.— La vérité est que la pierre d’amianthe, minéral filamenteux dont on peut faire une espèce de toile, résiste à un feu très-intense, comme font d’ailleurs tous les autres silicates. ↩
Voyez l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, tome II, pag. 176 et suiv. — Comparez avec le récit du plus récent voyageur, M. de Sauley, en son livre sur la mer Morte. ↩
Il serait plus exact de dire : si on la frappe fortement. ↩
Il est inutile d’avertir que ce préjugé populaire ne s’appuie sur aucune observation sérieuse. ↩
Tylos est une lie du golfe Persique et non de l’Inde. ↩
