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Comment doit-on entendre, me direz-vous, ces paroles d'Ezéchiel : « qu'un père ne doit point être châtié des crimes de son fils ni le fils de ceux de son père, et que l'âme seule qui aura péché mourra? » Ces paroles s'appliquent à ceux qui peuvent se gouverner eux-mêmes et dont il est dit dans l'Evangile : « Il a assez d'âge, qu'il réponde de ses propres actions; » mais le bien ou le mal que fait un enfant dans l'âge où il est incapable de se conduire lui-même est imputé à ses parents; de même, si l'enfant d'un chrétien décédait sans avoir été baptisé, il ne porterait pas seul la peine de ce crime, elle s'étendrait encore sur ceux qui auraient négligé de lui faire recevoir ce sacrement, surtout si c'était à une époque où il ne pouvait apporter de résistance à leur volonté. Le salut des enfants n'est-il pas un avantage pour les parents?
Vous étiez libre d'offrir ou de tic pas offrir à Dieu votre fille; mais aujourd'hui vous ne sauriez vous disperser de la lui consacrer sans être criminelle. C'était autrefois un sacrilège que de présenter à Dieu une victime défectueuse ou impure : quel sera donc aujourd'hui le châtiment de ceux qui négligeront la pureté d'une personne qu'ils ont consacrée à Jésus-Christ?
Lorsqu'elle sera devenue un peu plus grande, et qu'à l'exemple de son époux elle croîtra en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes, qu'elle aille avec ses parents au temple de son véritable père; mais qu'elle n'en sorte pas comme eux; qu'on la cherche en vain dans le chemin du siècle, dans les assemblées et la compagnie de ses proches; qu'on ne la trouve que dans la retraite, consultant les apôtres et les prophètes sur son union spirituelle ; qu'elle imite la Vierge, que l'ange trouva seule dans sa chambre, et qui fut troublée à son arrivée, peut-être parce qu'elle voyait un homme contre sa coutume ; qu'elle suive l'exemple de celle dont il est dit : « Cette princesse est au-dedans toute éclatante de gloire; » blessée d'un de ces précieux traits que lance le divin amour, qu'elle dise avec l'épouse : « Le roi m'a fait entrer dans son appartement; » qu'elle n'en sorte jamais, de peur que, rencontrant ceux qui parcourent la ville, ils ne viennent à la frapper, à lui ravir sa vertu, à la dépouiller, et à l'abandonner nageant dans son sang; qu'elle réponde au contraire si l'on vient à frapper à sa porte: «Je suis une muraille; ma vertu est une tour; j'ai lavé mes pieds : je ne puis me résoudre à les salir. » Qu'elle ne mange point en public, c'est-à-dire qu'elle ne se trouve point aux festins qui se feront dans la famille, de peur qu'elle ne désire des viandes qu'on y servira. Quelques-uns croient qu'il y a plus de vertu à vaincre un objet dont la vue fait naître le désir; mais je suis persuadé qu'il y a plus de prudence à ne le point connaître, car on quitte difficilement une habitude qu'on a laissé vieillir. Qu'elle s'accoutume dès aujourd'hui à ne point boire de vin, car il est la source de toute impureté. Néanmoins, comme une abstinence austère est dangereuse aux enfants, vous pourrez lui permettre, lorsque la nécessité l'exigera, l'usage des bains, du vin et de la viande, de peur que les pieds ne lui manquent avant même d'avoir marché. Prenez plutôt ceci pour l'avis d'un homme indulgent qui craint qu'elle ne tombe malade que pour un commandement que favorise la sensualité. Qui pourrait dispenser une vierge consacrée à Jésus-Christ d'une entière abstinence, lorsque les juifs par une superstition ridicule se sont défendus à eux-mêmes la chair de certains animaux, de certaines viandes, et que les prêtres indiens et les gymnosophistes d'Egypte se sont engagés à ne vivre que de pommes, d'un peu de riz et de bouillie? Si l'on l'ait tant de cas de ces vertus païennes qui n'ont que l'éclat du verre, combien ne doit-on pas estimer celles qui ont, le feu du diamant? En un mot, qu'elle vive comme ceux dont la naissance a été miraculeuse et semblable à la sienne; qu'elle supporte les fatigues de ceux qu'elle a égalés en grâce; qu'elle n'entende jamais d'instruments de musique; qu'elle ignore même à quels usages servent la flûte et la harpe; qu'elle vous rende tous les jours un compte exact de ce qu'elle aura remarqué dans l’Ecriture sainte; qu'elle entende la poésie grecque; qu'elle s'accoutume dès son enfance à bien prononcer le latin de peur que, prenant des habitudes vicieuses, elle ne s'exprime dans sa langue naturelle avec le mauvais accent des étrangers. Servez-lui seule de maîtresse et de modèle, et surtout qu'elle ne remarque rien en vous ni en son père qu'elle ne puisse imiter sans pécher. Instruisez-la l'un et l'autre plutôt par votre exemple que par vos discours. Il faut bien peu de chose pour ternir la beauté d'une fleur; un vent impur a bien vite fané les lis, les violettes et les roses : qu'elle ne sorte point sans sa mère, qu'elle n'aille pas même aux églises ni aux tombeaux des martyrs sans elle ; que des jeunes gens du monde n'en approchent jamais, et qu'elle célèbre les veilles des fêtes solennelles sans s'éloigner d'un pas de votre personne. Ne souffrez pas qu'elle ait plus d'amitié pour une de ses amies que pour les autres et qu'elle s'entretienne à voix basse avec elle; qu'elle ne dise rien qui ne puisse être entendu de tout le monde; qu'elle aime à fréquenter une fille sage, modeste, dont le visage respire la vertu, et non de ces femmes coquettes qui aiment les vains ajustements, qui veulent paraître belles et chanter avec art. Proposez-lui pour modèle de sa conduite une fille d'un âge mûr, d'une foi irréprochable, d'une vie sans tache et d'une chasteté reconnue, qui l'instruise par ses exemples, qui l'accoutume à se lever la nuit pour vaquer à la prière et. chanter des psaumes, et à s'acquitter fidèlement de son devoir pendant la, journée. Qu'elle se livre le jour à de semblables exercices; que la lecture et l'oraison partagent également son temps : il sera court à ses yeux si elle a soin de l'employer de la sorte. Qu'elle sache filer et travailler en laine, mais qu'elle ne s'applique jamais aux ouvrages d'or et de soie; que ses vêtements préservent son corps des injures de l'air; qu'elle ne porte point de ces étoffes légères qui ne couvrent qu'à demi ; qu'elle se nourrisse de légumes et rarement de poissons; et, pour ne pas m'arrêter sur une matière que j'ai traitée ailleurs avec plus d'étendue, qu'elle mange de telle manière qu'elle ait toujours faim, et que ses repas ne la détournent point de ses exercices spirituels. Je n'approuve pas les abstinences excessives , particulièrement pour la jeunesse ; je défends que pendant des semaines entières on s'interdise même l'usage de l'huile et des fruits. N'imitons point les prêtres d'Isis et de Cybèle, qui, tout en dévorant des faisans entiers, se font scrupule de manger du pain. Pour moi, j'applique au jeûne cette maxime, qu'il faut toujours se conserver de la force pour une longue carrière, de peur que, voulant courir au commencement, on ne succombe au milieu. Néanmoins il ne faut point garder de mesure pendant le carême, quoique les vierges et les solitaires ne doivent pas régler leur conduite sur celle des gens du siècle : un homme du monde, pendant le carême, digère la bonne chère passée et se prépare à de nouveaux excès, semblable à l'huître qui se nourrit de l'eau qu'elle a amassée dans ses coquilles; mais une vierge et un solitaire doivent en ce temps se souvenir que leur jeûne sera continuel. Un travail qui finira peut être rude, mais celui qui ne doit point avoir de fin exige plus de modération.
