3.
Si vous allez quelquefois à la campagne, mener votre fille avec vous ; ne la laissez jamais seule à la maison; qu'elle ne puisse vivre sans vous et qu'elle craigne d'être seule. Défendez-lui la compagnie des gens du monde et des filles dont la conduite est déréglée; qu'elle n'assiste point aux noces de vos domestiques ni aux réunions nombreuses. Je sais qu'il y en a qui défendent aux vierges consacrées à Jésus-Christ de se baigner en présence des eunuques et des femmes enceintes, parce que ceux-là conservent toujours le naturel de l'homme, et que celles-ci y paraissent quelquefois dans un état qui ne doit point être vu par une fille; mais pour moi, je défends entièrement le bain à une grande fille, qui ne peut se voir nue sans rougir. Et, en effet , si elle gourmande son corps par des jeûnes et des veilles, si elle tâche d'éteindre par la continence les feux de la jeunesse, et qu'elle travaille à ternir l'éclat de sa beauté naturelle, pourquoi réveillerait-elle par l'usage des bains une ardeur à demi éteinte ? Que l'Ecriture sainte tienne lieu à votre fille de diamants, de perles et de vêtements somptueux ; et due son livre soit simple, sans ornements, correct et fidèle. Qu'elle apprenne d'abord le Psautier; due les leçons qu'elle y puisera l'engagent à se retirer du monde; qu'elle prenne dans les Proverbes de Salomon des avis salutaires à sa conduite; qu'elle s'accoutume avec l'Ecclésiaste à triompher du siècle; qu'elle trouve dans le livre de Job un modèle de vertu et de patience ; qu'elle passe ensuite au saint Evangile, qu'elle aura toujours entre les mains, et qu'elle se remplisse lecteur et l'esprit des Actes des Apôtres et de leurs épîtres. Après s'être fortifié l'âme de ce trésor, qu'elle apprenne par coeur les livres des Prophètes, de Moïse, des Rois et des Paralipomènes, et même celui d'Esdras et d'Esther. Enfin, elle terminera l'étude de l'Ecriture sainte par la lecture du Cantique des cantiques : elle pourra alors étudier ce livre sans danger. Si au contraire elle commençait par cette lecture, est-ce qu'elle y découvrirait le sens spirituel qui y est caché ? Qu'elle prenne garde de ne rien lire d'apocryphe, ou si elle en lit quelque chose, que ce soit plutôt pour apprendre l'histoire de ce qui y sera rapporté que pour s'instruire des mystères de la foi. Qu'elle se souvienne que les auteurs de ces livres ne sont pas ceux dont ils portent le nom, et qu'il faut, avoir beaucoup de discernement pour dé couvrir l'or dans la fange. Qu'elle ait toujours entre les mains les oeuvres de saint Cyprien; qu'elle parcoure sans se lasser les lettres de saint Athanase et les livres du grand Hilaire; qu'elle se plaise à la lecture de ceux dont la foi et la piété ne sont point chancelantes dans leurs écrits, et qu'elle lise les autres plutôt pour les juger due pour les suivre aveuglément.
Mais, me direz-vous, comment pourrai-je exécuter de si grandes choses, moi qui suis livrée au monde et jetée au milieu de Rome parmi une société bruyante? Ne vous chargez donc point d'un fardeau que vous ne pouvez porter: sevrez votre fille comme Isaac, habillez-la comme Samuel, et envoyez-la à son aïeule et à sa tante; envoyez-la en la chambre de la Vierge et enchâssez cette pierre précieuse dans le berceau de Jésus-Christ. Qu'elle soit élevée dans un cloître, parmi des vierges, où elle ne jurera point, où elle prendra le mensonge pour un sacrilège, où elle ne connaîtra point le siècle, où elle vivra comme un ange, ayant un corps comme si elle n'en avait point, et où elle croira que tout le monde lui ressemble , et pour tout dire en un mot, où elle vous délivrera du soin de la garder. Il vaut mieux avoir à gémir de son absence que d'être sans cesse à se demander ce qu'elle dit, avec qui elle parle, ce qui lui plait ou ne lui plait point. Abandonnez à l'illustre Eustochia un enfant qui déjà vous prie par ses bégaiements, donnez-lui pour compagne de piété celle qui en sera un jour l'héritière; que cet enfant voie, aime et admire dès son enfance une personne dont la démarche, les gestes et les discours sont des leçons de vertu; qu'elle vive entre les bras d'une aïeule qui recommencera pour sa petite-fille ce qu'elle a fait autrefois pour sa fille chérie, et à qui une longue expérience a appris à élever, à surveiller et à instruire des épouses du Seigneur; que la fille de Toxotius soit plus heureuse par la vertu et la sainteté de son aïeule et de sa tante que par la noblesse de son illustre famille. Oh! si vous pouviez voir ces femmes illustres et comprendre tout ce qu'il y a de grand dans le courage qui anime leurs faibles corps, vous qui avez tant d'admiration pour la vérité, vous iriez plutôt à Bethléem que votre fille, et vous préféreriez les conseils de l'Evangile aux commandements de l'ancienne loi; et sans écouter les soupirs et les sanglots de vos autres enfants, vous vous offririez vous-même au Seigneur. Dais puisque chaque chose vient en son temps, que le corps de la femme n'est point en sa puissance, que chacun doit demeurer en l'état où il était quand Dieu l'a appelé, et que celui qui est sous un joug avec un autre ne le doit pas laisser dans la boue, commencez par votre fille une offrande que vous achèverez un jour par vous-même. Anne, après avoir présenté au temple l'enfant qu'elle avait promis à Dieu, ne l'emmena plus chez elle, et elle crut qu'elle profanerait celui .qui devait être prophète en l'élevant dans la maison d'une mère qui désirait encore d'autres enfants; même après l'avoir enfanté elle n'osa aller au temple, ni paraître devant Dieu sans lui porter des offrandes et sans s'acquitter de ce qu'elle lui devait. Elle fit donc le sacrifice de son fils, et retournant chez elle après l'avoir achevé, elle devint mère de cinq enfants parce qu'elle avait présenté à Dieu son premier-né. Imitez la foi de cette sainte femme dont vous admirez la félicité. Si vous nous voulez envoyer Paula, je m'oblige à être son maître et son nourricier . Je la porterai entre mes bras; ma vieillesse ne m'empêchera point de délier sa langue, de former ses premiers accents, et je serai plus glorieux que le philosophe païen Aristote, puisque je n'instruirai pas un roi mortel et périssable, mais une épouse immortelle du roi céleste.
