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Quelle réponse sage font-ils à ces objections? Vous-même, disent-ils, n'avez-vous jamais observé ce jeûne? Ce n'est pas à vous de m'interroger ; toutefois, je vous répondrai avec raison que si nous avons observé le jeûne judaïque, nous avons sacrifié cette habitude à l'harmonie, à l'unité de l'Église. Et ce que Paul disait aux Galates, je vous le dis, moi aussi : Soyez comme moi, puisque moi aussi j'ai été comme vous. (Gal. IV, 12.) Que veut dire cette parole ? Il leur avait persuadé de renoncer à la circoncision, de mépriser les sabbats, les jours légaux et toutes les autres pratiques de l'Ancien Testament; puis, comme il les voyait craindre et redouter d'encourir un châtiment et une peine par la transgression de la Loi mosaïque, il les rassurait par son exemple, en disant: Soyez comme moi, puisque, moi aussi, j'ai été comme vous. Comme s'il disait Est-ce que je suis sorti du milieu des Gentils? -Est-ce que j'ignore les observances légales et la peine portée contre les infracteurs de la Loi? Fiez-vous donc à moi sur cette question. Hébreu né d'hébreux, pharisien pour ce qui est de la manière d'observer la Loi; quant au zèle pour le judaïsme, persécutant l'Église. Mais, ce qui me paraissait un gain pour moi, je le regarde, à cause de Jésus-Christ, comme une perte (Phil. III, 5-7) ; c'est-à-dire, j'ai renoncé au judaïsme d'une manière absolue. Soyez donc comme moi, puisque j'ai été comme vous.
Mais que parlé-je de moi-même? Trois cents Pères, ou même davantage, assemblés dans une ville de la Bithynie, ont décrété ce que je vous prêche en ce moment, et vous ne faites aucun cas de leur décision ? Dès lors de deux choses l'une: il faut que ces hommes aient ou ignoré, ou trahi la vérité; à votre sens, c'étaient des ignorants ou des hypocrites. Puisque vous ne respectez pas ce qu'ils ont décrété, ces conséquences sont rigoureuses; mais elles sont démenties par les faits qui ont montré leur sagesse d'une manière éclatante, et leur sagesse apparaît dans cette exposition de la foi qui ferma la bouche aux hérétiques, et, comme un mur inébranlable, repoussa toutes leurs machinations; quant à leur courage, la persécution qu'ils venaient de traverser et la guerre qu'ils avaient soutenue contre le monde, dans l'intérêt de l'Eglise, l'avaient suffisamment éprouvé.
En effet, comme de vaillants guerriers qui ont érigé d'innombrables trophées, et reçu de nombreuses blessures, ainsi revenaient alors de toutes parts les chefs des Eglises, portant les stigmates de Jésus-Christ, et pouvant compter les nombreux supplices qu'ils avaient endurés pour la confession de la foi. Les uns pouvaient parler des mines et de la misère qu'ils y avaient endurée; d'autres, de la confiscation de tous leurs biens; d'autres, de la faim qu'ils avaient soufferte ; d'autres, des blessures dont tout leur corps était couvert; les uns aussi pouvaient montrer leurs côtés labourés avec les ongles de fer; d'autres, leur dos meurtri; d'autres, les orbites d'où leurs yeux avaient été arrachés ; et d'autres , quelqu'autre membre de leur corps mutilé pour Jésus-Christ. Et c'est de la réunion de ces athlètes que fut alors formé le Concile entier; et, d'accord sur la foi, ils décrétèrent aussi que l'on célébrerait la fête de Pâques en commun et tous ensemble. Ainsi, des hommes qui n'avaient pas trahi la foi dans des temps si difficiles, ces mêmes hommes ont dû, selon vous , recourir à la dissimulation pour fixer le jour où une fête sera observée? Songez-vous à ce que vous faites, en condamnant tant de Pères si courageux et si sages? Si l'orgueil avec lequel le pharisien se préféra au publicain, rendit nulles toutes ses vertus, quel pardon obtiendrez-vous et quelle sera votre défense, à vous qui condamnez tant de docteurs chéris de Dieu, et cela injustement et contre toute raison? N'avez-vous pas entendu Jésus-Christ dire lui-même : Quand deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux ? (Matth. XVIII, 20. ) Quoi ! Jésus-Christ est au milieu de deux ou trois hommes qui prient ensemble, et il n'aurait pas été au milieu de ces trois cents évêques dictant tout, décrétant tout ! En les condamnant, vous condamnez aussi la terre entière qui a approuvé leur sentence. Pensez-vous donc que les Juifs soient plus sages que tous les Pères de toutes les contrées de la terre, et cela, quand ils ne jouissent plus des institutions de leurs pères, et ne célèbrent plus aucune fête ? Il n'y a plus chez eux ni d'azymes ni de pâques (j'en entends beaucoup, en effet, dire que la pâque ne peut se passer des azymes); il n'y a plus, je le répète, d'azymes parmi eux; apprenez-le de la bouche de leur législateur lui-même : Vous ne pourrez pas immoler la pâque indifféremment dans toutes les villes que le Seigneur votre Dieu doit vous donner, mais seulement dans le lieu qu'il aura choisi pour y établir son nom. Le lieu choisi par le Seigneur fut Jérusalem (Deut. XVI, 5, 6) : Vous le voyez, après avoir désigné une ville , une seule, pour la célébration de cette fête, le Seigneur a ensuite ruiné jusqu'à la ville même, pour les détourner, même malgré eux, de cette institution ; car, Dieu savait apparemment ce qui devait arriver. Pourquoi donc a-t-il rassemblé les Juifs de tous les points de la terre dans une ville qu'il prévoyait devoir être détruite? N'est-il pas évident que c'est parce qu'il voulait abolir la fête? Dieu l'a abolie, et vous vous faites le disciple des Juifs dont le Prophète a dit : Et qui est aveugle, sinon mes enfants; et sourd, sinon ceux qui exercent l'empire sur eux ? (Is. XLII,19.) Envers qui, en effet, n'ont-ils pas été ingrats et stupides? Envers les apôtres, envers les prophètes, envers leurs docteurs? Et qu'est-il besoin de parler des docteurs et des prophètes, puisqu'ils ont égorgé jusqu'à leurs fils mêmes? Car, ils ont immolé leurs fils et leurs filles aux démons. (Ps. CV, 37.) Ils ont méconnu la nature, et observé les jours de fêtes !
Ils ont foulé aux pieds la parenté; ils ont oublié leurs enfants; ils ont oublié Dieu même, leur Créateur. Car, est-il dit : Tu as oublié Dieu qui t'a engendré, et tu as oublié Dieu qui te nourrit. (Deut. XXXII, 18.) Ils ont abandonné Dieu , et ils gardent scrupuleusement leurs fêtes ! Quelle inconséquence ! Il est vrai, Jésus-Christ a fait la pâque avec les Juifs, mais ce n'était pas pour que. nous la célébrassions avec eux, c'était afin que la figure se rencontrant avec la vérité servît à l'introduire et à la faire reconnaître dans le monde. Il a aussi enduré la circoncision, il a observé les sabbats, sanctifié les fêtes, et mangé les azymes; tout cela à Jérusalem. Mais, nous ne sommes plus assujettis à aucune de ces observances, et Paul s'écrie : Si tous vous faites circoncire, Jésus-Christ ne vous sert de rien (Gal. V, 2) ; et encore au sujet des azymes : C'est pourquoi, célébrons la fête, non avec le vieux levain, ni avec le levain de la méchanceté et de la perversité, mais avec les azymes de la sincérité et de la vérité. (I Cor. V, 8.) Car, nos azymes ne sont pas de la farine pétrie, mais une conduite sincère, et une vie vertueuse.
