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Pourquoi donc Jésus-Christ a-t-il fait la pâque en même temps que les Juifs ? Parce que l'ancienne pâque était la figure de celle qui devait venir, et qu'il fallait que la vérité s'ajoutât à la figure ; après avoir montré sombre, il produisit la vérité pendant. la même scène; mais, la vérité étant une fois apparue, l'ombre dès lors est effacée , et n'est plus de saison. Ne m'alléguez donc pas cette raison. Montrez-moi, si vous le pouvez, que Jésus-Christ a ordonné de faire la pâque avec les Juifs. Car, c'est le contraire que je soutiens : je soutiens que non-seulement il n'a pas ordonné d'observer les jours de fêtes marqués dans la loi mosaïque, mais qu'il nous a même délivrés de l'obligation de célébrer ces fêtes. Ecoutez, en effet, ce que dit Paul, et quand je nomme Paul, c'est de Jésus-Christ que je parle, puisque c'est lui qui meut l'âme de Paul. Que dit donc le grand Apôtre? Vous observez les jours, et les mois, et les saisons, et les années. J'appréhende pour vous que je n'aie peut-être travaillé en vain parmi vous. (Gal. IV, 10, 11.) Et encore : Chaque fois que vous mangerez ce pain, et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort dit Seigneur. (I Cor. XI, 26.) En disant: Chaque fois, il a donné plein pouvoir à celui qui s'approche des saints mystères de choisir le temps qu'il veut. Il ne fixe pas de jours à garder invariablement. Car, la pâque et le carême ne sont pas la même chose; mais, autre chose est la pâque , autre le carême. Le carême n'arrive qu'une seule fois l'an, la pâque, trois fois la semaine, et parfois même quatre fois , ou plutôt, chaque fois que vous voulez ; car la pâque n'est pas un jeûne, mais l'oblation et le sacrifice qui se fait dans chaque réunion. Entendez saint Paul vous le dire lui-même : Jésus-Christ, notre pâque, a été immolé pour nous; et chaque fois que vous mangerez ce pain, et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur. (I Cor. XI, 26.) C'est pourquoi, chaque fois que vous vous approchez des saints mystères avec une conscience pure, vous célébrez la pâque; vous la célébrez, dis-je, non pas quand vous jeûnez, mais quand vous participez au sacrifice. Chaque fois, en effet, que vous mangerez ce pain, et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur. Célébrer la pâque, c'est annoncer la mort; car, l'oblation faite aujourd'hui, et celle qui a été célébrée hier, et celle de chaque jour, est semblable à celle qui s'est accomplie en ce grand jour du sabbat, où Jésus-Christ fut sacrifié sur la croix; elle est la même; et celle-là n'est en rien plus vénérable que celle-ci, ni celle-ci, de moindre valeur que celle-là; mais, c'est une seule et même oblation également redoutable et salutaire.
Pourquoi donc, dit-on, jeûnons-nous ces quarante jours? Beaucoup autrefois s'approchaient des mystères témérairement et comme à l'aventure, et surtout dans ce temps où Jésus-Christ les a institués. Or, les Pères, sachant le danger qu'il y avait à s'en approcher avec négligence, désignèrent lorsqu'ils furent réunis, quarante jours consacrés au jeûne, aux prières, à l'audition de la parole de Dieu, aux assemblées, afin qu'étant tous soigneusement purifiés en ces jours, par les prières, par l'aumône, par le jeûne, par les veilles, par les larmes, par la confession et par toutes les autres oeuvres dé. piété, nous pussions nous approcher des sacrements avec une conscience aussi pure que possible. Qu'ils aient obtenu un grand et heureux résultat par cette condescendance, en nous faisant contracter l'habitude de jeûner, voici qui le prouve. Pour nous, prédicateurs, quand même pendant toute l'année, nous ne cesserions de prêcher le jeûne de toutes nos forces, personne ne ferait attention à ce que nous dirions. Mais, que le temps du carême arrive seulement; sans que personne les exhorte ou les avertisse, les plus nonchalants se lèvent , recevant du temps avertissement et exhortation. Si donc un Juif ou un Gentil vous demande pourquoi vous jeûnez, ne dites pas que c'est en mémoire de la pâque ou de la croix, car ce serait lui donner prise contre vous; nous ne jeûnons pas, en effet, en mémoire de la pâque, ou de la croix, mais pour effacer nos péchés, avant de nous approcher des mystères. Si ce n'était cette raison, la pâque serait plutôt pour nous une occasion de joie et d'allégresse, que de jeûne et de tristesse. La croix, en effet, a ôté le péché, elle a été l'expiation du monde, la réconciliation d'une haine invétérée; elle a ouvert les portes du ciel; elle a rendu amis de Dieu ceux qui lui étaient en aversion; elle a rouvert à notre race l'entrée du ciel; elle a placé notre nature à la droite du trône éternel, et nous a procuré une infinité d'autres biens. Il ne faut donc pas pleurer et avoir le coeur serré, mais être content et se réjouir de toutes ces choses. C'est pourquoi, Paul aussi a dit : Loin de moi que je me glorifie, sinon dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Gal. VI, 14) ; et encore : Dieu prouve sa charité pour nous, en ce que, quand nous étions encore pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous (Rom. V, 8) ; et Jean exprime ainsi la même pensée : Dieu a tant aimé le monde. (III, 16.) Par quelle marque Dieu a-t-il surtout signalé son amour pour le monde ? Par la croix : car écoutez ce qu'ajoute l'apôtre saint Jean : Dieu a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique, pour être crucifié, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle. La croix est donc une occasion de témoigner de l'amour pour Dieu, et:un sujet de se glorifier: rie disons donc pas que nous pleurons à cause d'elle. Car, nous ne pleurons pas à cause d'elle, à Dieu ne plaise ! mais à cause de nos propres péchés. Voilà pourquoi nous jeûnons.
