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Ne nous obstinons donc pas, et gardons, nous de dire : il y a si longtemps que je jeûne à telle époque et je changerais maintenant cette habitude ? Pour cette raison-là même, vous devez la changer; puisque vous vous êtes tenu si longtemps éloigné de l'Eglise, revenez désormais à cette bonne mère. Serait-il raisonnable de dire : Puisque j'ai si longtemps persévéré dans la haine, j'aurais honte de me réconcilier maintenant? Il n'y a pas de honte à changer pour devenir meilleur, il y en a à persister dans une obstination à contre-temps. C'est là ce qui a perdu les Juifs ; leur opiniâtreté à garder l'ancienne Loi les a entraînés dans l'impiété.
Mais que parlé je du jeûne et de l'observation légale des jours? Zélé partisan de la Loi ancienne, saint Paul avait enduré pour elle sueurs, peines, fatigues; il avait entrepris de nombreux voyages, surpassé tous ceux de son temps dans l'observation exacte des institutions judaïques; néanmoins, quand, après tous les efforts et les sacrifices qu'il avait faits pour atteindre à la perfection légale et mosaïque, il s'aperçut que tout ce qu'il faisait, loin de lui être utile, tournait à son préjudice et à sa ruine, il ne balança pas un instant à quitter la Loi de Moïse pour celle de Jésus-Christ. Et il ne se dit pas en lui-même : Quoi donc! Aurai-je pour rien dépensé tant de zèle? Perdrai-je le fruit de si grands travaux? Ce fut précisément cette raison qui le poussa à changer plus promptement, pour ne pas travailler davantage en pure perte; et il méprisa la justice qui vient de la Loi, afin de recevoir celle qui vient de la foi; et il S'écrie : Tout ce qui a été un gain pour moi, je le regarde; ci cause de Jésus Christ, comme une perte. (Phil. III, 7.)
Si vous apportez voire présent à l'autel, est-il dit, et que là, vous vous souveniez que votre frère a quelque chose contre vous, allez, réconciliez-vous d'abord avec votre frère, et après venez offrir votre présent. (Matth. V, 93.) Quoi donc? Si votre frère a quelque chose contre vous il ne vous est pas permis d'offrir le sacrifice, jusqu'à ce que vous vous soyez réconcilié avec lui; et tandis que l'Eglise tout entière, et tant de Pères ont quelque chose contre vous, vous ne craignez pas d'approcher des divins mystères sans avoir mis fin à cette haine si funeste pour vous? Comment donc pourrez-vous célébrer la pâque dans de telles dispositions? Je ne dis point cela pour les judaïsants seuls, mais pour vous aussi, mes Frères, qui êtes exempts de cette maladie, afin qu'avec toute la diligence et la douceur dont vous êtes capables, vous rassembliez tous les chrétiens judaïsants pour les ramener dans le sein de l'Eglise notre mère.
Et quand même ils se roidiraient, regimberaient, et feraient toutes les résistances imaginables, ne cédez pas, insistez, persistez jusqu'à ce que vous les ayez persuadés; on ne saurait faire trop de sacrifices quand il s'agit de ramener dans l'Eglise la paix et l'union. C'est pour cela que, quand l'évêque, votre Père entre, il ne monte pas sur son trône avant de vous avoir souhaité la paix à tous ; et quand il s'est levé il ne commence pas à vous faire l'instruction qu'il ne vous ait d'abord donné la paix à tous. Lorsque les prêtres vous bénissent, c'est là ce qu'ils vous souhaitent tout d'abord, c'est ainsi qu'ils commencent la bénédiction.
Et quand le diacre avertit de prier avec les autres, il ordonne aussi d'invoquer l'ange de la paix dans la prière; et tout ce qui est offert dans le sacrifice symbolise la paix; et celui qui vous renvoie de cette réunion vous fait ce souhait: Retirez-vous en paix; et rien absolument ne peut ni se dire ni se faire sans la paix. Car elle est notre nourrice et notre mère, qui nous entretient avec beaucoup de soin. Et quand je dis la paix, je ne parle pas de celle qui consiste dans un simple salut ni dans la communion de la table, mais de la paix qui est selon Dieu, qui procède de la concorde spirituelle, paix que beaucoup troublent aujourd'hui, que détruisent surtout ceux qui, par une obstination coupable, rabaissent le christianisme et exaltent le judaïsme, croyant les Juifs des maîtres plus dignes de foi que nos propres Pères spirituels, et s'en rapportant pour connaître la passion de Jésus-Christ, aux meurtriers de Jésus-Christ : n'est-ce pas là ce que l'on peut concevoir de plus déraisonnable? Ne savez-vous pas que les Juifs ont eu la figure, et nous la vérité ? Voyez donc combien grande est la différence. La Loi ancienne défendait la mort corporelle, la Loi nouvelle a apaisé la colère divine soulevée contre toute la terre; la Loi ancienne a fait sortir, un jour, de l'Egypte, le peuple hébreu, celle-ci nous a délivrés de l'idolâtrie; celle-là a dompté Pharaon, celle-ci le diable; après celle-là la Palestine, après celle-ci le ciel.
Pourquoi donc demander encore la lumière à la lampe, quand le soleil a lui? Pourquoi vouloir encore vous nourrir de lait, quand on vous présente une nourriture plus solide? C'est pour que vous ne vous en teniez pas au lait, qu'on vous a d'abord nourris de lait; c'est pour vous diriger vers le soleil, que le flambeau a été allumé. Quand un état plus parfait est arrivé, ne demeurons pas obstinément attachés à ce qui existait d'abord, ne nous occupons plus de jours, de saisons et d'années, mais suivons partout l'Eglise avec ardeur; préférant la charité et la paix à toutes choses. Quand même l'Eglise se tromperait dans l'observation des jours, l'avantage qu'on retirerait de l'exactitude la plus grande en cette matière ne serait pas assez considérable pour compenser le dommage résultant de la division et du schisme. Je ne tiens aucun compte du temps, parce que Dieu lui-même, non plus, n'y a nul égard, comme je vous l'ai démontré assez longuement; je ne demande qu'une seule chose, c'est que, dans toutes nos actions , nous soyons fidèles à la paix et à la concorde; et que, tandis que nous jeûnons , ainsi que tout le peuple, et que les prêtres font des prières communes pour le monde entier, vous ne restiez pas, vous, à vous enivrer à la maison. Pensez que c'est là le fruit de l'opération du diable, et qu'agir de la sorte ce n'est pas commettre seulement un péché, ni deux, ni trois, mais beaucoup plus. C'est vous séparer du troupeau, c'est condamner les décisions de nos Pères spirituels, vous jeter dans la contention, vous précipiter dans le judaïsme, et vous exposer comme un scandale, et à ceux de la maison et aux étrangers. Comment pourrons-nous, nous qui sommes chargé d'annoncer la parole de Dieu, faire un reproche à tels ou tels, de ce qu'ils demeurent nonchalamment dans leurs maisons pendant les offices de l'Eglise, quand vous courez, vous autre§, vous mêler aux fêtes des Juifs? Ce sont là des fautes graves; ajoutez-y le tort immense que vous vous faites à vous-mêmes, puisque pendant ces jeûnes vous ne profitez ni des Ecritures, ni des réunions, ni de la bénédiction, ni des prières communes; mais que vous passez tout ce temps avec une conscience mauvaise, craignant et tremblant d'être surpris, comme un homme d'une autre race et d'un autre pays, tandis qu'il faudrait avec confiance, avec plaisir, avec joie et en toute liberté, accomplir tous les exercices religieux en union avec l'Eglise. L'Eglise ne s'occupe pas d'observer exactement les temps; mais puisqu'il a plû à tous les Pères de se réunir ensemble, de toutes les régions de la terre, et de fixer un jour, comme l'Eglise estime pardessus tout l'unité, l'harmonie et la concorde, elle a admis ce qui a été ordonné par un concile. Car, il est impossible, à nous comme à vous, comme à tout autre, de célébrer les mystères les jours mêmes où ils furent accomplis nous l'avons suffisamment démontré dans ce qui précède. Ne nous battons donc pas contre des fantômes; et ne nous nuisons pas dans des choses importantes , en querellant sur des choses de peu de valeur. Jeûner en tel ou tel temps importe peu; mais diviser l'Eglise, se tenir dans des dispositions querelleuses , faire naître des dissensions, se priver constamment soi-même de la réunion : voilà ce qui est impardonnable, digne d'accusation et puni d'une grande peine.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce sujet; mais, pour ceux qui sont attentifs, ce qui a été dit suffit; quant à ceux qui ne sont pas attentifs, en vain en dirions-nous davantage, ils n'en profiteraient pas. C'est pourquoi, mettant fin ici à ce discours, supplions ensemble tous nos frères de revenir à nous, de s'attacher à la paix , de renoncer aux contentions et aux querelles inutiles. Exhortons-les à se moquer de ces misères, à prendre des pensées plus hautes et plus grandes, et à se délivrer de l'observation judaïque des jours ; afin que tous, unanimement et d'une seule voix, nous glorifiions Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
