3.
Quand Dieu dit au commencement de la création : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance (Gen. I, 26), il nous découvre énigmatiquement la divinité du Fils avec lequel il s'entretient. Et pour montrer ensuite que la dernière institution n'est pas opposée à la précédente, mais que la destruction du premier sacrifice et la substitution du nouveau entraient harmonieusement dans les desseins de Dieu, et qu'il. faut voir dans ce changement non une contradiction mais le point de départ et l'ouvrage même de la régénération du monde, après avoir dit : En tête du Livre il est écrit de moi, le Prophète continuant de faire parier Jésus-Christ, ajoute : Que je ferai votre volonté, 8 Dieu, c'est aussi ce que j'ai voulu, et votre loi a été au fond de mon coeur. (Ps. XXXIX, 8, 9.) Puis, déclarant quelle est la volonté de Dieu, il néglige de parler du sacrifice, des holocaustes, des offrandes, des travaux et des sueurs, et il dit : J'ai annoncé la justice dans une grande assemblée. (Ibid. V, 10.) Qu'est-ce à dire, j’ai annoncé la justice? Il ne dit pas simplement : j'ai donné, mais : j'ai annoncé. Pourquoi donc enfin? Parce que ce n'est pas par des bonnes oeuvres , ni par des travaux, ni par une compensation, mais par la grâce seule, qu'il a justifié notre race. C'est aussi ce que Paul déclare, quand il dit : Maintenant sans la Loi, la justice de Dieu a été manifestée (Rom. III, 21), la justice de Dieu produite par la foi en Jésus-Christ, non par aucune peine ni par aucun travail. Puis, s'emparant de ce témoignage, il parle de la sorte: La Loi ayant l'ombre des biens à venir, et non la forme des choses, ne peut jamais, par les victimes offertes constamment chaque année, rendre parfaits ceux qui s'approchent. C'est pourquoi le Fils de Dieu, entrant dans le monde, dit: Vous n'avez voulu ni sacrifice, ni oblation, mais vous m'avez formé un corps (Hébr. X, 1-5) : paroles qui marquent l'avènement du Fils unique dans le monde, par l'incarnation. C'est ainsi, en effet, qu'il s'est approché de nous, non en passant d'un lieu à un autre (comment aurait-il pu le faire, étant partout et remplissant tout?) mais en se manifestant à nous par la chair.
Toutefois, puisque nous n'avons pas à combattre seulement les Juifs, mais encore les païens et bon nombre d'hérétiques, laissez-moi vous découvrir ici quelque dessein plus profond, et rechercher pourquoi Paul, qui pouvait citer beaucoup d'autres témoignages pour prouver l'abolition de la Loi et des anciennes institutions judaïques, invoque celui-ci de préférence. Il ne le fait pas légèrement et au hasard, mais pour une raison importante et avec une sagesse ineffable. Que l'Apôtre eût pu donner sur ce sujet d'autres témoignages plus étendus et plus forts, s'il avait voulu les apporter, tout le monde en conviendra. Voici d'abord Isaïe qui dit : Vous n'accomplissez pas ma volonté: je suis rassasié des holocaustes de béliers, et je ne veux pas de la graisse des agneaux ni du sang des taureaux et des boucs, même si vous veniez en ma présence. Car, qui vous a demandé d'avoir tous ces dons en vos mains ? Si vous m'apportez de la fleur de farine , c'est inutilement : l'odeur de votre encens m'est en abomination. (Is. I, 11-13.) Et ailleurs : Je ne t'ai pas appelé maintenant, Jacob, et je ne t'ai pas fatigué, Israël ; tu ne m'as pas glorifié par tes sacrifices, ni servi par tes présents ;je ne t'ai pas non plus importuné pour de l'encens, et tu n'as pas donné ton argent pour m'acheter des parfums. (Ib. XLIII, 22, 23.) Et Jérémie : Pourquoi m'apportes-tu de l'encens de Saba, et du cinnamome d'une terre éloignée ? Vos holocaustes ne m'ont pas réjoui. (VI, 20.) Et encore : Joignez vos holocaustes à vos sacrifices, et mangez-en la chair. (Id. VII, 21.) Un autre prophète exprime la même pensée : Eloigne de moi le son de tes chants, et je n'écouterai pas l'accord de tes instruments. (Amos, V, 23.) Comme les Juifs disaient : Le Seigneur aura-t-il les holocaustes pour agréables; lui donnerai-je mes premiers-nés pour mon impiété, et le fruit de mes entrailles pour le péché de mon âme ? (Mich. VI, 7.) Voici ce que leur répondait le prophète Michée : On t'a annoncé, ô homme, ce qui est bon et ce que le Seigneur ton Dieu demande de toi! c'est exclusivement que tu aimes la miséricorde, que tu observes le jugement et la justice, et que tu sois tout prêt d suivre le Seigneur ton Dieu. (Ibid. V, 8.) David ne parle pas autrement : Je ne recevrai point de veaux de votre maison, ni de boucs de vos troupeaux. (Ps. XLIX, 9.)
Pourquoi donc ayant à citer tant de témoignages par lesquels Dieu rejette les sacrifices, les néoménies, les sabbats, les fêtes, l'Apôtre les omet-il tous pour ne se souvenir que de celui seul que nous avons rapporté? Ce n'est pas légèrement et au hasard, mais pour. une raison très-sage que nous allons indiquer. Beaucoup d'infidèles et de Juifs même, dans leurs controverses avec nous , disent que l'ancien ordre de choses a été détruit, non à cause de son imperfection ni pour introduire notre religion comme préférable, mais à cause de la perversité de ceux qui offraient alors des sacrifices. Ils appuient cette thèse sur un témoignage d'Isaïe : Si vous étendez vos mains, je détournerai de vous mes yeux, et si vous multipliez les prières, je ne vous exaucerai pas. Pourquoi ? parce que vos mains sont pleines de sang. (I, 15.) Ce n'est pas là, dit-on, une accusation contre les sacrifices, mais une accusation intentée contre la méchanceté de ceux qui les offraient; et si Dieu n'a pas agréé les sacrifices, c'est parce qu'ils lui étaient offerts par des mains que le crime avait souillées. Ils invoquent encore l'autorité de David qui dit : Je ne recevrai point de veaux de votre maison, ni de boucs de vos troupeaux (Ps. XLIX, 9), mais qui ajoute : Dieu a dit au pécheur Pourquoi célèbres-tu mes justices, et pourquoi mon alliance est-elle dans ta bouche? Tu as haï la discipline, et tu as jeté mes paroles derrière toi. Si tu voyais un séducteur, tu courais avec lui, et tu prenais parti pour les adultères. Ta bouche était remplie d'iniquité, et ta langue enveloppait des tromperies. Tu parlais assidûment contre ton frère, et tu tendais un piège contre le fils de ta mère. (Ps. XLIX, 16-20.) D'où il est évident qu'il n'a pas rejeté les sacrifices purement et simplement, mais parce que ceux qui les offraient commettaient l'adultère, parce qu'ils volaient, parce qu'ils tendaient des embûches à leurs frères. Et chaque prophétie, disent-ils, en accusant ceux qui offraient des sacrifices, déclare que Dieu les a rejetés pour cette raison.
