6.
Il nous resterait à démontrer la convenance et la nécessité d'une loi nouvelle, mais cette démonstration, nous l'avons donnée implicitement en prouvant qu'un sacerdoce nouveau devait prendre la place de l'ancien. Cependant nous aurions pu démontrer explicitement cette vérité par le témoignage des prophètes qui disent que la loi sera changée, que l'institution mosaïque sera transformée et rendue plus parfaite, et que désormais on ne verra plus de roi parmi les Juifs.
Mais, pour ne pas surcharger vos mémoires, nous réservons cette question pour un autre temps, et, en attendant, nous terminerons ici le discours, en exhortant votre charité à vous souvenir de nos paroles et à les rattacher à ce qui a été dit précédemment; et ce que nous vous avons déjà demandé, nous vous le demandons encore maintenant : sauvez vos frères. Parmi ceux qui sont avec vous membres d'un même corps, il y en a de malades, donnez-leur tous vos soins. C'est pour procurer leur guérison que nous nous sommes chargé d'un tel travail ; ce n'est pas pour jeter des paroles en l'air, ni obtenir des applaudissements et de bruyantes acclamations, mais pour ramener au chemin de la vérité ceux qui s'en étaient écartés. Et que personne ne me dise Je n'ai rien de commun avec cet homme; plaise à Dieu que je conduise à bonne fin mes propres affaires ! Personne ne peut conduire à bonne fin sa propre affaire, sans aimer le prochain et sans veiller à son salut. C'est pourquoi Paul dit aussi : Que personne ne cherche exclusivement son bien propre, ruais chacun, celui d'autrui (I Cor. X, 24), sachant que l'utilité de chacun consiste dans l'utilité d'autrui. Vous êtes bien portant, vous, mais votre frère est malade. Si donc vous êtes sage, vous serez sensible aux infirmités de vos frères, et vous imiterez encore en cela ce bienheureux apôtre qui dit : Qui est faible sans que je sois faible? qui est scandalisé sans que je brûle ? (II Cor. XI, 29.) Que si, pour avoir donné deux oboles et dépensé un peu d'argent en faveur des pauvres, nous éprouvons une vraie satisfaction, quelle joie ne recueillerons-nous pas, si nous pouvons sauver des âmes? quelle récompense n'obtiendrons-nous pas dans le siècle futur? Nous ressentons même dès ici-bas un grand plaisir chaque fois que nous rencontrons ceux que nous avons aidés , parce que leur présence nous rappelle nos bienfaits envers eux; mais au dernier jour, quand nous les verrons autour du tribunal redoutable, nous participerons à leur crédit, à leur faveur auprès de Dieu. Quand les hommes qui commettent l'injustice, qui fraudent, qui ravissent le bien d'autrui et causent au prochain une infinité de maux, seront arrivés là, et qu'ils verront ceux qui ont souffert de leurs crimes (car ils les verront, est-il dit, bon gré mal gré, comme il est évident par l'histoire du riche et de Lazare), ils ne pourront ouvrir la bouche, ni parler et se défendre devant leurs -victimes, mais ils seront couverts d'une grande confusion et accablés sous le poids de leur condamnation, pour être entraînés loin de leurs regards et plongés dans les fleuves de feu : au contraire lorsque ceux qui veillent au salut de leurs frères, qui les instruisent et les catéchisent, verront ceux qu'ils ont sauvés prendre leur défense devant le redoutable Juge, ils seront remplis d'une grande assurance.
C'est ce que saint Paul déclare, en disant : Nous sommes votre gloire, comme vous êtes, vous aussi, la nôtre (II Cor. I, 14), au jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Jésus-Christ, à son tour, adresse cette exhortation: Faites-vous des amis avec les richesses d'iniquité, afin que quand vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans leurs tabernacles éternels. (Luc, XVI, 9.) Ne l'oubliez pas, ces bienfaits que nos frères reçoivent de notre charité, deviendront un gage assuré de salut pour nous. Que si, pour un peu d'argent donné aux pauvres, Dieu promet de si riches couronnes, un salaire si abondant , une récompense si magnifique ; que ne recevrons-nous pas pour les services que nous aurons rendus aux âmes? Si Tabitha, pour avoir vêtu les veuves et secouru les pauvres, est revenue de la mort à la vie (Act. IX, 36); et si les larmes de ceux à qui elle avait fait du bien, ont ramené dans son corps, avant le jour de la résurrection, son âme qui en était sortie; que ne produiront pas les larmes de tous ces hommes sauvés par vous? De même que les veuves qui entouraient cette femme l'ont rendue vivante, de morte qu'elle était, ainsi ceux qui sont sauvés maintenant et qui alors vous entoureront, vous feront obtenir une grande bienveillance de la part de Dieu, et vous arracheront au feu de l'enfer.
Sachant donc cela, ne soyons pas fervents et vigilants seulement pour l'heure présente, mais communiquez le feu qui est maintenant en -vous; une fois sortis d'ici, portez de tout côté le salut dans la ville, et, si vous n'en connaissez pas qui aient besoin de vos secours, recherchez-les avec soin. Si vous suivez ces conseils nous vous parlerons avec plus d'ardeur, comprenant par les effets que nous n'avons pas semé sur la pierre, et vous-mêmes vous serez plus zélés aussi dans la pratique de la vertu. Celui qui a gagné deux pièces d'or, éprouve une plus grande envie d'en recueillir et d'en ramasser dix et vingt, ainsi arrive-t-il pour la vertu : celui qui a fait quelque bonne couvre et rendu un service, tire de ce service même un encouragement et une exhortation à en rendre d'autres. Afin donc de sauver nos frères, de nous ménager à nous-mêmes le pardon de nos fautes, ou plutôt un gage assuré de salut, afin surtout de procurer la gloire de Dieu, sortons pour cette chasse des âmes, sortons avec nos femmes, nos enfants et nos domestiques, arrachons du filet du diable ceux qu'il y a pris selon sa volonté, et ne nous arrêtons pas avant d'avoir fait pour eux ce qui est en notre pouvoir, qu'ils le veuillent ou ne le veuillent pas; mais il est impossible qu'étant chrétiens ils ne le veuillent pas. Néanmoins, afin que vous n'ayez pas même ce prétexte, je vous dis ceci : Quand vous aurez dépensé vainement beaucoup de paroles , et accompli tout ce qui est en votre pouvoir, si vous voyez qu'on ne se soumet pas, amenez le récalcitrant aux prêtres, et bon gré mal gré, par la grâce de Dieu, ils s'en rendront maîtres , et toute la récompense sera pour vous. Maris, dites cela à vos femmes; femmes, dites-le à vos maris; pères, dites-le à vos enfants; amis, dites-le à vos amis. Que les Juifs sachent, et ceux qui paraissent faire une même société avec nous, mais qui pensent comme eux dans le fond, que nous ne sommes pas sans exercer nos soins , notre sollicitude et notre vigilance sur nos frères qui passent de leur côté. Alors, bon gré mal gré, ils repousseront avant nous ceux des nôtres qui vont les joindre; ou plutôt, personne n'osera plus désormais chercher un refuge chez eux, le corps de l'Eglise sera pur. Que Dieu, dont la volonté est que tous les hommes se sauvent et arrivent à la connaissance de la vérité, nous fortifie pour cette chasse des âmes, ramène les Juifs de leur égarement, et, nous sauvant tous ensemble, nous rende dignes du royaume des cieux pour sa gloire, parce que à lui appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
