12.
Quoique tu me traites de questionneur importun, repris-je, et il m'est difficile de ne l'être pas, puisque j'ai interrompu tes colloques avec Pyrame et Thisbé, je continuerai néanmoins à te questionner. Cette nature où tu veux nous montrer tant d'ordre, à quoi bon, pour ne rien dire d'une multitude d'autres choses, a-t-elle créé ces mêmes arbres qui ne portent pas de fruits? Comme il cherchait ce qu'il devait dire, Trygétius reprit : Est-ce que les arbres ne peuvent servir à l'homme que par leurs fruits? Combien d'autres avantages sont dus à l'ombre, au bois, enfin aux rameaux mêmes et aux feuilles? Je t'en supplie, reprit Licentius, ne réponds pas ainsi à ses questions. II y a une foule d'objets que nous pourrions citer ici et qui n'ont pour les hommes aucune utilité, ou du moins qu'une utilité si cachée et si faible, que les hommes et nous surtout ne pouvons ni la découvrir, ni la soutenir. Que l'on nous enseigne plutôt comment rien peut se faire sans une cause préexistante. Plus tard, dis-je, nous en parlerons. Il n'est pas encore nécessaire que j'enseigne, car tu t'es proclamé certain de l'ordre universel; je cherche avidement à le connaître; j'y consacre mes jours et mes nuits, et tu ne m'as encore rien appris sur cette grave question.
