30.
Mes larmes m'empêchèrent d'en dire davantage, et Licentius qui voyait avec la plus grande peine que tout fût écrit : Que t'avons-nous fait, je t'en prie, me dit-il ! — Maintenant même, répliquai-je, tu n'avoues pas ta faute? Tu ne sais donc pas que dans ma classe, je souffrais beaucoup devoir combien ces enfants étaient attachés non pas à l'utilité et au progrès de leurs études, mais à l'appât de futiles éloges: quelques-uns même récitaient sans rougir les compositions des autres et recueillaient, ô malheur déplorable ! les applaudissements de ceux-là mêmes dont ils donnaient le travail. Vous, sans doute, je le crois, vous n'avez jamais rien fait de semblable; mais c'est jusque dans la philosophie, dans cette vie que je me réjouis d'avoir enfin embrassée, que vous essayez d'introduire et de répandre le dernier et le plus nuisible des poisons, une jalousie pestilentielle, une vaine jactance. Peut-être, hélas! parce que je vous détourne d'une chose aussi vaine et aussi dangereuse , allez-vous ralentir votre ardeur pour la science, et après avoir éteint le désir d'une stérile renommée, vous refroidir jusqu'à la torpeur de l'inertie. Malheur à moi, si aujourd'hui encore il me faut supporter des caractères, qui ne peuvent se corriger d'un vice qu'en se livrant à d'autres vices. — Tu verras, dit Licentius, combien nous nous corrigerons à l'avenir. Seulement ce que nous te demandons par tout ce qui t'est cher, c'est que tu nous pardonnes et que tu fasses effacer tout cela. Ménage aussi nos tablettes1, car nous n'en saurons bientôt plus. On n'a encore reporté sur les livres rien de ce que nous disons depuis longtemps. —Au contraire, reprit Trygétius, que notre châtiment soit durable : ainsi cette renommée, qui a pour nous tant d'attraits, nous détournera de ses appâts en nous frappant de son fouet. Nous n'aurons pas médiocrement à souffrir, lorsqu'il nous faudra porter ces écrits à la connaissance même de nos seuls et intimes amis. Licentius y consentit.
Ils écrivaient d'abord sur des tablettes et transcrivaient ensuite dans des livres. ↩
