CHAPITRE IV. BIEN QUE LES DÉMONS FASSENT CERTAINES CHOSES ÉTONNANTES, IL FAUT LES MÉPRISER.
Quant à la troisième faculté des démons, à cette longue expérience qui leur a fait apprendre mille choses dont ils ont la prescience et font la prédiction, c'est un avantage que méprise quiconque s'étudie soigneusement à tout juger d'après les pures lumières de la vérité. Dans ces conditions, un jeune adolescent, vraiment honnête, ne se croira pas inférieur à un détestable vieillard qui, pour avoir beaucoup expérimenté, aura l'air d'en savoir plus que lui; et quand même des médecins, des navigateurs, des agronomes se mettraient en parallèle avec lui, s'ils ont une âme dépravée et des moeurs coupables, le jeune homme sage ne les préférerait pas à lui-même, pour ce motif que les maladies, les orages, la science des arbustes ou des plantes leur donnent lieu de faire de telles prédictions que, vu son inexpérience de ces choses, ils posent en prophètes devant lui.
8. Or, comme les démons ne se contentent pas de prédire quelques faits à venir; comme ils opèrent encore certains actes étonnants, grâce sans doute à la perfection de leur corps, faut-il moins pour cela qu'un homme sage les méprise; lui qui voit tant d'individus pervers et misérables exercer à tel point leurs membres, déployer tant d'habileté dans leurs différentes professions, que ceux qui n'y sont point initiés ou n'en ont pas été témoins peuvent à peine croire aux faits qu'on en raconte? Quelles merveilles n'ont point exécutées les funambules et les artistes de théâtre ! Quels prodiges sortent des mains d'ouvriers et surtout de mécaniciens ! Sont-ils pour cela meilleurs que les gens de bien, en qui reluisent la sainteté et la piété?
J'ai rappelé ces exemples, afin que l'observateur qui les étudiera sans prévention opiniâtre ni vain esprit de dispute et de contradiction, arrive de lui-même à faire le raisonnement suivant : Des matières infimes et grossières, telles que le corps humain, ou telles que la terre et l'eau, les pierres, les bois, les divers métaux, peuvent enfanter des prodiges dans les mains de certains hommes, à ce point que les gens incapables d'en faire de pareils, pénétrés de stupeur, les appelleront divins, en les comparant avec eux-mêmes. Malgré cela, toujours les uns gardent leur supériorité professionnelle, tandis que les autres conservent la supériorité de leurs vertus. Combien donc de merveilles, et plus difficiles et plus étonnantes, les démons pourront-ils exécuter par la force et par la souplesse du plus subtil des corps, je veux dire, de leur substance aérienne; bien que la dépravation de leur volonté et surtout leur étalage d'orgueil et la noirceur de leur jalousie les constituent toujours esprits impurs et immondes ! — Il serait trop long de démontrer quelle puissance cet air, cause de leur force corporelle, possède pour agir invisiblement sur maintes choses visibles, pour les mouvoir, les changer, les bouleverser. Je pense, d'ailleurs, qu'après un instant de réflexion, il est facile de se l'imaginer.
