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Celui donc qui se refuse à la correction peut-il dire encore : « Qu'ai-je fait, moi qui n'ai pas reçu la grâce? » puisqu'il est certain qu'il a reçu la grâce et qu'il ne l'a perdue que par sa propre faute ? Il réplique: « Quand a vous me reprochez d'avoir par ma propre volonté quitté la voie droite pour me jeter dans le mal, je puis encore vous dire: Qu'ai-je donc fait, moi qui n'ai pas reçu la grâce ? J'ai reçu la foi qui opère par la charité, mais je n'ai pas reçu la grâce de la persévérance finale. Oserait-on dire que cette persévérance n'est point un don de Dieu, et a que ce bien si précieux soit tellement notre oeuvre propre, que celui qui le possède n'ait a pas à s'appliquer ces paroles de l'Apôtre : Qu'avez-vous donc que vous ne l'ayez reçu?» Nous sommes loin de nier de la persévérance finale qu'elle soit le plus précieux de tous les bienfaits de Dieu ; nous ne nions pas qu'elle soit un don de celui dont il est écrit : « Toute e grâce excellente et tout don parfait nous vient du ciel et descend du Père des lumières1 ».
Mais il ne suit pas de là qu'à celui qui ne persévère point on doive épargner la correction, car ne peut-on pas espérer que Dieu lui accorde la grâce de faire pénitence et de s'arracher aux piéges du démon ? A l'utilité inhérente à toute correction l'Apôtre n'a-t-il pas ajouté cet avantage que j'ai rappelé plus haut : « Reprenant avec douceur ceux qui résistent à la vérité, dans l'espérance que Dieu pourra leur donner un jour l'esprit de pénitence2 ? » Si nous disions de cette persévérance si louable et si précieuse, qu'elle est tellement le fait de l'homme, que Dieu y reste entièrement étranger, nous ôterions toute valeur à cette parole du Sauveur à saint Pierre : « J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point3 ». Que demandait le Sauveur, si ce n'est la persévérance finale? Si donc cette grâce était dans l'homme l'oeuvre de l'homme, quel besoin y aurait-il de la demander à Dieu? De son côté, l'Apôtre s'écriait : « Nous demandons à Dieu que vous ne commettiez aucun mal4 » ; n'était-ce point demander la persévérance? Car celui-là commet le mal, qui renonce au bien pour se laisser aller au mal qu'il devrait éviter; et par conséquent il ne persévère pas dans le bien. Ailleurs le même Apôtre disait: « Je rends grâces à mon Dieu toutes les fois que je me souviens de vous, et je ne fais jamais de prière que je ne prie aussi pour vous tous, ressentant une grande joie de ce que vous avez reçu l'Évangile, et y avez persévéré depuis cale premier jour jusqu'à cette heure. Car «j'ai une ferme confiance que celui qui a commencé le bien en vous, te perfectionnera jusqu'au jour de Jésus-Christ5 », Ne promet-il pas aux fidèles, par la miséricorde de Dieu, la persévérance finale dans le bien? Il écrivait aux Colossiens : « Epaptiras, qui est de notre ville, vous salue ; c'est un serviteur de Jésus-Christ, qui combat sans cesse a pour vous dans ses prières, afin que vous demeuriez fermes et parfaits, et que vous accomplissiez pleinement tout ce que Dieu demande de vous6». « Afin que vous demeuriez », n'est-ce pas comme s'il eût dit: Afin que vous persévériez? Voilà pourquoi il est dit du démon qu' il ne demeura pas dans la vérité7 »; et en effet il fut créé dans la vérité, mais il n'y persévéra point.
L'apôtre saint Jude écrivait : « A celui qui peut vous conserver sans péché et vous placer immaculés en présence de sa gloire et dans la joie8 », n'est-ce point dire clairement que la persévérance finale dans le bien est un don de Dieu? Celui qui nous conserve sans péché, afin de nous placer immaculés en présence de sa gloire et dans la joie, ne donne-t-il pas la grâce de la persévérance ? Nous lisons dans les Actes des Apôtres : «A cette nouvelle les nations se réjouirent, elles reçurent la parole du Seigneur, et tous ceux qui avaient été prédestinés à la vie éternelle embrassèrent la foi9 ». Qui donc a pu être prédestiné à la vie éternelle, si ce n'est par le don de la persévérance ? Car « celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé10 ». De quel salut, si ce n'est du salut éternel? Lorsque, dans l'oraison dominicale, nous disons à Dieu le Père : « Que votre nom soit sanctifié11 », ne demandons-nous pas que son nom soit sanctifié en nous? Or, cette sanctification s'est opérée par le bain de la régénération ; pourquoi donc est-elle encore chaque jour demandée par les fidèles, si ce n'est afin que cette grâce déjà obtenue persévère en nous jusqu'à la fin?
Écoutons le bienheureux Cyprien commentant cette prière : «Nous disons : Que votre nom soit sanctifié, non pas que nous demandions à Dieu qu'il soit sanctifié dans nos prières, nous désirons que son nom soit sanctifié en nous. « D'ailleurs, par qui donc le Seigneur pourrait-il être sanctifié, lui qui est le principe de toute sanctification? Mais le Seigneur a dit lui-même : Soyez saints, parce que je suis saint12 ; voilà pourquoi nous demandons que nous, qui avons été sanctifiés dans le baptême, nous puissions persévérer dans la grâce qui nous a été donnée ». Ainsi donc, d'après ce glorieux martyr, ce que les fidèles demandent chaque jour par ces paroles, c'est la persévérance dans la grâce qu'ils ont reçue. Or, demander à Dieu de persévérer dans le bien, n'est-ce pas confesser hautement que la persévérance est un don de Dieu ?
