30.
La grâce dont les justes ici-bas ont besoin, si elle ne doit pas être plus joyeuse, doit du moins être plus puissante; et quelle grâce plus puissante que le Fils unique de Dieu, égal à son Père, éternel comme lui, fait homme pour les hommes, exempt de tout péché soit originel, soit personnel et crucifié pour les hommes pécheurs? Quoiqu'il soit ressuscité le troisième jour et pour ne plus mourir, cependant lui qui a donné la vie aux morts, a subi la mort pour les mortels, afin que, rachetés par son sang, et appuyés sur ce gage infaillible, ils pussent s'écrier : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? Celui qui n'a pas épargné son propre Fils, et l'a livré pour nous tous, a comment avec lui ne nous aurait-il pas donné toutes choses1 ? » Le Verbe a donc revêtu notre nature, c'est-à-dire l'âme raisonnable et la chair de l'homme, et cette opération mystérieuse n'a pu être déterminée par aucun mérite antérieur; c'est gratuitement et librement que le Fils de Dieu s'est fait homme, ne formant plus avec son humanité qu'une; seule et même personne, comme il n'était qu'une seule personne de toute éternité dans le sein de son Père. Il n'est sur ce mystère aucun homme qui porte l'aveuglement et l'ignorance jusqu'à dire que, après être né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, le Fils de l'homme, par le bon usage qu'il fit de son libre arbitre, et par son exemption de tout péché, a mérité d'être le Fils de Dieu ; ce qui serait absolument contraire à cette parole de l'Evangile : « Le Verbe s'est fait chair2 ». Où donc le Verbe s'est-il fait chair, si ce n'est dans le sein virginal de Marie, puisque c'est là qu'a pris naissance l'humanité qu'il a revêtue ? La Vierge demandait comment s'accomplirait ce qui lui était annoncé par l'ange; et cet ange lui répondit : « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre; voilà pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu3 ». « Voilà pourquoi » ; ce n'est donc pas à cause des oeuvres, car quelles oeuvres peut faire celui qui n'est pas encore né? « Voilà pourquoi », c'est-à-dire, parce que « le Saint-Esprit surviendra en vous, et que la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre, le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu ».
Cette naissance parfaitement gratuite a uni dans l'unité de personne l'homme à Dieu, la chair au Verbe ; elle fut suivie de bonnes oeuvres de toute espèce, mais elle ne fut méritée par aucune. On n'avait pas à craindre que cette nature humaine, mystérieusement revêtue par le Verbe dans l'unité de personne, abusât de son libre arbitre pour pécher, puisque cette nature humaine ainsi revêtue par le Verbe, quoique douée encore d'une volonté propre, ne pouvait abuser de cette volonté, exclusivement dirigée par la personnalité divine et humaine. Par ce Médiateur, Dieu a montré que si les méchants deviennent éternellement bons, c'est lui-même qui opère gratuitement en eux cette transformation précieuse, en leur appliquant le sang de Jésus-Christ , ce sang divin qui n'a jamais été souillé de la faute originelle ou d'un péché personnel.
