6.
Ce que dit ici le prophète, que « mille ans sont aux yeux de Dieu comme le jour d'hier qui est passé, » revient à ce que l'apôtre saint Paul dit dans son épître aux Hébreux : « Jésus-Christ était hier , il est aujourd'hui, et il sera le même dans tous les siècles. » Cet endroit du prophète, joint à ee que nous lisons dans l'épître qu'on attribue à saint Pierre1, me fait juger qu'on a coutume dans l'Ecriture sainte de prendre mille ans pour un seul jour, et que le monde ayant été créé en six jours, l'on a cru qu'il ne devait subsister que durant six mille ans, après quoi viendraient le septième et le huitième jour, où nous devions goûter le repos du véritable sabbat, et être rétablis par la circoncision dans notre ancienne innocence. C'est pour cela que l'Evangile ne marque que huit béatitudes, et qu'il promet la récompense de leurs bonnes oeuvres à ceux qui en auront rempli les devoirs et suivi les maximes. Or, voici ce que nous lisons dans l’épître de saint Pierre dont je viens de parler : « Il y a une chose que vous ne devez pas ignorer, mes bien-aimés: c'est qu'aux yeux du Seigneur un jour est comme mille ans; et mille ans comme un jour. Ainsi le Seigneur n’a point retardé l'accomplissement de sa promesse comme quelques-uns se l'imaginent. »
« Quand vous les frapperez, ils s'évanouiront comme un songe ou comme l'herbe qui passe dès le matin. L'homme a fleuri le matin et a passé aussitôt; le soir on l'a vu tomber et sécher. » Nous lisons dans les Septante : « Leurs années seront regardées comme un néant. L'homme est le matin comme l'herbe qui passe bientôt; il fleurit le matin et il passe; il tombe le soir, il s'endurcit et il se sèche. » Voici le sens du texte hébreu : Il nous est avantageux, et pour notre conduite, et pour notre salut, que nôtre vie se termine par une prompte mort, et disparaisse comme un songe ou comme ces fleurs des champs que l'on voit fleurir et sécher presque au même moment. Quand vous frapperez les hommes, dit le prophète, et qu'ils seront arrivés à ce moment fatal où on leur dira : « Insensé que tu es! on va te redemander ton âme cette nuit même, et pour qui sera ce que tu as amassé ? » alors toute la vie et toutes les occupations de l'homme ne paraîtront que comme un songe C'est un agréable spectacle que de voir le matin une fleur s'épanouir sous les premiers rayons du soleil; mais cette belle fleur se fane peu à peu, elle perd insensiblement toute sa beauté et tout son éclat, et elle devient enfin comme une herbe qui n’est propre qu’à être foulée aux pieds. Il en est de même de la vie des hommes : elle s’épanouit dans l’enfance, elle fleurit et brille dans la jeunesse, elle a toute sa force dans un âge parfait; mais tout à coup, et lorsqu'on y pense le moins , la tête blanchit, le visage se ride, la peau se dessèche et perd son embonpoint, et l'homme sur le soir, c'est-à-dire : à la fin de sa vie, accablé de vieillesse, peut a peine se remuer; on ne le reconnaît plus et on le prendrait presque pour un autre homme. Mais est-il nécessaire de faire ici la peinture des défaillances de l'homme et des divers changements qui lui arrivent depuis son enfance jusqu’à sa vieillesse, puisque nous voyons tous les jours une maladie, un malheur, un chagrin défigurer tellement les plus belles femmes, et les rendre si méconnaissables et si affreuses, que tout l'amour qu'on avait pour elles se change en haine et en aversion ? Le prophète Isaïe, parlant de la condition des hommes mortels, nous en donne la même idée lorsqu'il dit : « Toute chair n'est que de l’herbe , et toute sa gloire est comme la fleur des champs l'herbe se sèche et la fleur tombe. » C'est dans ce même sens qu'on doit expliquer la version des Septante : Tout ce qui nous paraît de longue durée dans le siècle présent ne dure qu'un moment à vos yeux, ô mon Dieu ! Les jours et les années qui composent la vie de l'homme ne paraissent rien quand on les compare à l'éternité. Tout l'éclat, toute la beauté de l'homme est semblable à une herbe qui Croit et fleurit le matin, et qui sur le soir se dessèche et tombe tout à coup.
« Votre fureur nous a entièrement détruits, et votre indignation nous a jetés dans le trouble. « La version des septante porte : « C'est par un effet de votre, colère que nous nous voyons réduits à cet état de défaillance, et par un effet de votre fureur que nous sommes remplis de trouble. » Au lieu de ces mots «nous sommes remplis de trouble, » la version d'Aquila et de Symmaque porte « nous nous sommes hâtés. » Le prophète parle ici de la brièveté de notre vie; et lorsqu'il dit qu'elle est un effet de la colère et de la fureur de Dieu, il nous donne à entendre que nous avons tous été enveloppés dans cette ancienne malédiction du premier homme : «Vous êtes poudre et vous retournerez en poudre;» au lieu que la version des Septante porte : « Nous sommes remplis de trouble. » Il y a dans le texte hébreu, comme nous l'avons déjà remarqué : « Nous nous sommes hâtés ; » ce qui fait voir que la vie de l'homme, quelque longue qu'elle soif, est toujours très courte en comparaison de l'éternité; ce qui, a fait dire à un fameux poète . «Cependant le temps fuit avec rapidité et se perd sans ressource; » et dans un autre endroit : « Nous avons vécu longtemps, mon pauvre Rhoebus,si néanmoins il y a quelque chose de durable dans la vie d'un homme mortel2.»
Saint Jérôme veut parler de la seconde épître de saint Pierre, qui dans les premiers siècles n’était pas reçue dans toutes les Eglises comme canonique ; c’est ce que nous apprenons de saint Jérôme dans son livre des Écrivains ecclésiastiques ; Scripsit (Petrus) duas epsitolas quae catholicae nominantur ; quarum secunda a plerisque ejus esse negatur, propter styli cum priore dissonantiam. ↩
C'est ainsi que Virgile fait parler Mezentius à son cheval, qu'il appelait Rhoebus. ↩
