CHAPITRE X. L’AME NE PEUT TROUVER SON REPOS DANS LES CRÉATURES.
15. « Dieu des vertus, convertissez-nous, montrez-nous votre face, et nous serons sauvés (Ps. LXXIX, 4).»Hors de vous, où peut se tourner l’âme de l’homme, sans poser sur une douleur, quelle que soit la beauté des créatures, où, loin d’elle et de vous, elle cherche son repos? Mais elles ne seraient rien, si elles n’étaient par vous, ces beautés qui se lèvent et se couchent. En se levant, elles commencent d’être, elles croissent pour atteindre leur perfection; arrivées là, elles vieillissent et meurent; car tout vieillit et tout meurt. Ainsi, aussitôt nées, elles tendent à être, et plus elles s’empressent de croître afin d’être, plus elles se hâtent de n’être plus. Telle est la condition de leur existence. Voilà la part que vous leur avez faite; elles sont d’un ensemble de choses qui ne coexistent jamais toutes à la fois, mais qui par leur fuite et leur succession produisent ce tout dont elles sont partie. Et n’est-ce pas ainsi que notre discours s’accomplit par les signes et les sons? Jamais il n’existera en totalité, si chaque parole ne passe, après avoir prononcé son rôle, pour qu’une autre lui succède.
Que mon âme vous loue de telles oeuvres, Dieu leur créateur, mais qu’elle n’y demeure point attachée par l’appât de cet amour qui captive les sens; car elles vont toujours où elles allaient, pour ne plus être, et déchirent de désirs pernicieux l’âme avide d’être et de se reposer dans ce qu’elle aime. Mais l’âme peut-elle trouver son repos dans leur instabilité? (391) Elles fuient, et l’instant même de leur présence se dérobe au sens charnel. Lent est le sens de la chair, parce qu’il est le sens de la chair. et la manière d’être de la chair. Il suffit à sa fin, mais il est impuissant pour saisir ce qui court d’un point désigné à un autre. Car votre Verbe créateur dit à l’être créé : Tu iras d’ici là.
