III.
Voyons donc quels sont ceux qui ont eu part à la vérité et quels sont ceux qui ont erré.1 Ne connaissant pas Dieu, les Chaldéens2 errèrent dans leur culte des éléments et se mirent à adorer la créature au lieu de celui qui les a créés. Ils se sont fait des représentations et ils ont rendu un culte à des statues du ciel, de la terre, de la mer, du soleil et de la lune et des autres éléments ou astres, et les ayant enfermées dans des temples, ils les adorent en les appelant dieux et les gardent avec soin, de peur qu’elles ne soient volées par des brigands.3 Et ils n’ont pas compris que ce qui garde est plus grand que ce qui est gardé, et que celui qui fait est plus grand que ce qui est fait. Si donc leurs dieux sont incapables de se sauver eux-mêmes, comment sauveraient-ils les autres? Les Chaldéens ont donc grandement erré en adorant des statues mortes et inutiles. Je m’étonne, ô Roi, que leurs prétendus philosophes n’aient pas compris que les éléments aussi sont corruptibles.4 Si les éléments sont corruptibles et soumis par nécessité, comment seraient-ce des dieux? Si les éléments ne sont pas des dieux, comment les statues faites en leur honneur seraient-elles des dieux?
L’ordre des matières diffère ici de celui des deux versions. Après la première phrase du chapitre III, les textes S et A passent à l’explication de leur quadruple division et exposent l’origine des Barbares, des Grecs, des Juifs et des Chrétiens. Les deux versions répètent ensuite leur division et insèrent un passage incompréhensible que nous avons reproduit plus haut. C’est seulement alors que le texte S, qui continue seul, commence la réfutation (III). ↩
Le pays situé entre l’Euphrate et le Tigre, à cause de sa position entre les deux cours d’eau auxquels il doit sa richesse et sa fécondité, portait le nom de Mésopotamie. Le sud du pays, d’après sa capitale Babel, porta le nom de Babylonie, tandis que le nord fut l’Assyrie. Les peuples qui habitèrent ces contrées sont appelés par les Hébreux et les Grecs, Chaldéens et Assyriens. Ces noms concordent avec ceux qu’ils se sont donnés eux-mêmes d’après les Inscriptions. Avant eux les Soumirs et Accads avaient habité le pays. Astrologues, puis astronomes, surtout mathématiciens, ces derniers sont les inventeurs de l’écriture dite cunéiforme. Les Chaldéens leur empruntèrent leur science et une bonne partie de leurs idées religieuses. Dans son livre sur l’Histoire comparée des anciennes religions de l’Égypte et des peuples sémitiques, le professeur C. P. Tiele étudie les divinités des Souxnirs et Accads et montre l’origine des divinités chaldéennes (Livre II, ch. I et Il). Ana (l’élevé) est le ciel considéré comme être divin; pour les Chaldéens il devient le dieu du ciel. Les principaux dieux des Chaldéens sont empruntés à ce panthéon très ancien. L’abîme, l’océan céleste, la mer sont représentés par Hea (maison des eaux). Il y a aussi un dieu du soleil, de la lune, de certaines étoiles, de la terre. Le dieu de l’atmosphère donne naissance au vent et à la pluie. Le dieu du feu jouait un rôle considérable comme dieu protecteur de la maison et de la famille. D’après M. Oppert (article Chaldée dans l’Encyclopédie de M. Lichtenberger), les Chaldéens avaient un cercle de douze dieux, correspondant presque un à un aux douze mois. Dès les temps les plus reculés, la Chaldée est un centre de civilisation. Les doctrines chaldéennes se seraient répandues dans l’empire romain à l’origine du christianisme. M. H. Zotenberg pense qu’il s’agit ici des croyances des Perses. Ce qui l’induit en erreur, c’est qu’il met cette description en relation avec des développements sur le règne du mal (Boissonade, p. 45, 51, 105, 173) et que la réfutation de la divinité de l’homme lui paraît s’adresser an Roi de Perse. La découverte de M. Robinson détruit cette explication. (Zotenberg, op. cit., p. 58, 59.) ↩
L’auteur de l’Épître à Diognète, dans sa réfutation des prétendus dieux des Grecs, se sert du même argument On lit au ch. II, 2; « Celui-ci n’est-il pas de bois déjà pourri, cet autre d’argent, qui a besoin d’un homme pour le garder afin qu’il ne soit pas volé? » ↩
La science se perpétuait dans les castes, de père en fils, et les différentes écoles de Babylone, de Borsippa, d’Orchoë, de Sippare eurent de longues controverses entre elles. Les adhérents de ces écoles prirent le nom de Chaldéens. Ce nom devint synonyme de savant, d’astrologue, de prophète. Comme tel il apparaît dans le livre de Daniel (IV, 7-11). ↩
