2.
Nous avons montré suffisamment que si la captivité actuelle des Juifs devait finir, les prophètes l'auraient prédit, qu'ils n'auraient pas gardé sur ce sujet un silence absolu comme ils ont fait; nous avons fait voir que toutes leurs captivités avaient commencé et fini selon qu'elles avaient été annoncées, celle d'Egypte, celle de Babylone, celle d'Antiochus Epiphane; nous avons prouvé que la durée et le lieu de chacune avaient été clairement désignés dans les divines Ecritures , tandis qu'aucun prophète n'a marqué de terme à la captivité présente. Daniel a bien prédit que les Juifs la verraient fondre sur eux, qu'elle leur apporterait une désolation irrémédiable, qu'elle changerait leur gouvernement, qu'elle aurait lieu à telle époque après le retour de Babylone; mais ni lui ni aucun autre prophète, n'a déclaré que ces maux finiraient et auraient un terme. Il a prédit au contraire que cette dernière captivité s'étendrait jusqu'à la consommation des siècles. Quelle force ne donne pas encore à nos preuves le long espace de temps qui s'est écoulé sans qu'il ait paru jusqu'à ce jour aucune ombre, aucune apparence d'une révolution heureuse ! et cela, quoique les Juifs aient essayé à plusieurs reprises de relever leur temple! L'entreprise qu'ils en ont formée a été rompue trois fois, sous les empereurs Adrien, Constantin et Julien : les deux premières fois par les soldats, la troisième par les flammes qui, sorties des fondements, ont réprimé avec éclat leurs efforts criminels. Maintenant donc je leur ferais volontiers cette demande : Pourquoi, après un si long séjour en Egypte, êtes-vous revenus dans votre patrie? pourquoi, ensuite transportés à Babylone, êtes-vous retournés à Jérusalem? pourquoi enfin sous Antiochus, après avoir essuyé tant de maux, avez-vous repris votre ancien état, recouvré vos sacrifices, votre autel, le Saint des saints, tout, en un mot, sans rien perdre de votre première dignité? et d'où vient qu'à présent vous n'avez pas joui de cette faveur, mais que depuis plus de trois cents ans1 jusqu'à nous, on n'aperçoit aucun indice d'une pareille révolution, et que votre ruine est entièrement consommée, sans que vous ayez le plus léger espoir d'être rétablis comme auparavant?
Si les Juifs se rejettent sur leurs fautes, s'ils disent: Nous avons péché contre Dieu, nous l'avons offensé, et voilà pourquoi nous ne recouvrons pas notre pays; si ces hommes qui résistaient aux continuels reproches des prophètes, qui ne voulaient pas convenir des meurtres dont ils leur parlaient avec tant de force ; si ces mêmes hommes reconnaissent maintenant leurs crimes et se condamnent eux-mêmes, je leur ferai volontiers à chacun cette question : C'est à cause de vos péchés, dites-vous, que vous êtes éloignés depuis si longtemps de Jérusalem? que faites-vous donc de nouveau et d'extraordinaire? est-ce d'aujourd'hui seulement que vous vivez dans le péché? aviez-vous vécu jusqu'alors dans la justice et dans la pratique des bonnes oeuvres? ne vous êtes-vous pas souillés dès le commencement de mille iniquités? le prophète Ezéchiel ne vous a-t-il pas fait mille reproches, lorsqu'introduisant deux courtisanes, Ola et Oliba, il leur adresse ces paroles : Vous vous êtes construit dans l’Egypte un lieu de prostitution, vous avez renchéri sur les folies des Barbares, et rendu un culte à des dieux étrangers? (Ezéch. XXIII.)
Lorsque le Seigneur ouvrait pour vous le sein des mers et les veines des rochers , qu'il opérait dans le désert tant de prodiges, n'avez-vous pas adoré le veau d'or ? Comment avez-vous traité Moïse ? ne l'avez-vous pas tantôt chassé, tantôt accablé de pierres? n'avez-vous pas cherché à le faire mourir par mille autres actes de violences? avez-vous cessé de blasphémer contre Dieu ? ne vous êtes-vous pas initiés à Béelphégor.? n'avez-vous pas immolé aux démons vos fils et vos filles ? ne vous êtes-vous pas signalés par toute sorte d'impiétés et de crimes ? (Ps. CV, 37.) Le Prophète ne vous dit-il pas dans la personne de Dieu : Il y a quarante ans que je supporte avec peine cette génération, et j'ai dit : Ils se livrent sans cesse à de nouvelles erreurs? (Ps. XCIV, 10.) Pourquoi donc Dieu ne vous a-t-il pas rejetés alors pourquoi , après que vous vous êtes souillés par le sacrifice de vos enfants, par le culte des idoles, par mille traits de perversité et d'une ingratitude inouïe, vous a-t-il laissé pour prophète le grand Moïse, a-t-il opéré en votre faveur des prodiges si merveilleux, et a-t-il fait pour vous ce qu'il ne fit jamais pour aucun mortel ? pourquoi ce nuage dont vous étiez couverts comme d'un toit commode? cette colonne de feu qui marchait devant vous comme une lampe brillante? ces ennemis effrayés fuyant à votre approche, et ces villes dont les murs tombaient au seul bruit de vos cris? Vous n'aviez besoin ni d'armes, ni de troupes, ni de combats; au seul son de la trompette les murailles se renversaient d'elles-mêmes. Vous avez trouvé une nourriture nouvelle et jusqu'alors inconnue, au sujet de laquelle le Prophète s'écrie : Il leur a donné le pain du ciel, l'homme a mangé le pain des anges, il leur a envoyé une subsistance abondante. (Ps. LXXVII, 25.)
Pourquoi donc, dites-moi, lorsque vous étiez livrés à l'impiété et à l'idolâtrie, que vous immoliez vos enfants, que vous lapidiez vos prophètes, que vous commettiez une infinité de crimes, pourquoi avez-vous éprouvé de la part de Dieu une telle bienveillance, une pareille protection? et pourquoi , maintenant que vous n'êtes plus livrés à l'idolâtrie, que vous n'immolez plus vos enfants, que vous ne lapidez plus vos prophètes, gémissez-vous dans une captivité sans fin ? Dieu était-il autre alors qu'il n'est à présent? n'est-ce pas le même Dieu qui vous protégeait d'abord d'une manière si éclatante, et qui vous punit aujourd'hui avec tant de sévérité? pourquoi donc, dites-moi, éprouviez-vous les plus grands bienfaits du Seigneur lorsque vous étiez plus coupables à son égard, et qu'à présent que vous l'êtes moins, il vous a absolument rejetés, il vous a livrés à un opprobre éternel ? Oui, s'il vous rejette actuellement à cause de vos fautes, il le devait bien plus alors ; et s'il vous supportait alors malgré vos impiétés, il le devrait bien plus maintenant que vous ne commettez pas des forfaits pareils ? Pourquoi donc ne vous supporte-t-il pas aujourd'hui? Vous rougissez d'en dire là raison; je vais la révéler, moi, ou plutôt ce n'est pas moi qui parlerai, mais la vérité même. Vous avez fait mourir le Christ, vous avez mis la main sur le Seigneur, vous avez répandu un sang précieux, voilà pourquoi il ne vous reste aucun moyen de réparer votre faute, aucun espoir de pardon, aucune défense. Vos anciens attentats n'étaient que contre des serviteurs, contre Moïse , contre Isaïe, contre Jérémie. Vous étiez alors coupables d'impiété, sans doute, néanmoins vous ne vous étiez pas encore portés aux derniers excès; depuis vous avez mis le comble à vos premiers crimes, vous êtes parvenus au dernier terme de l'iniquité par vos fureurs envers le Fils de Dieu : et voilà pourquoi vous êtes maintenant plus sévèrement punis. Eh ! si telle n'était point la cause de votre dégradation présente , pourquoi Dieu vous supportait-il lorsque vous immoliez vos enfants, et vous rejette-t-il aujourd'hui que vous ne vous souillez plus de ces meurtres? n'est-il pas clair que la mort du Christ était un attentat beaucoup plus horrible que celle de vos enfants, et que ce dernier forfait surpassait tous les autres?
Le grec porte cinq cents ans; c'est une faute visible. On ne compte qu'environ trois cent seize ans depuis la dernière destruction de Jérusalem sous Vespasien jusqu'au temps de saint Jean Chrysostome ; et cet orateur lui-même, dans le discours qui précède, ne parle que d'un espace de plus de trois cents ans. ↩
