1.
Le jeûne des Juifs est passé, ou plutôt leur ivresse. On peut, en effet, s'enivrer même sans vin, on peut même à jeun, se livrer à toutes les extravagances de l'ivresse et de l'orgie. Si l'on ne pouvait s'enivrer qu'avec du vin, le Prophète n'aurait pas dit : Malheur à ceux qui sont ivres, non de vin. (Is. XXIX, 9.) Si l'on ne pouvait s'enivrer qu'avec du vin, saint Paul n'aurait pas dit : Ne vous enivrez pas de vin. (Thess. V, 18.) L'on peut, oui, l'on peut aussi être ivre de colère, ivre d'une concupiscence déraisonnable, ivre d'avarice, ivre d'amour pour la vaine gloire, ivre d'une infinité d'autres passions. Car l'ivresse n'est rien autre chose que le trouble de la raison, le délire et la privation de la santé de l'âme.
On peut donc l'affirmer sans crainte, ce n'est pas seulement le vin pur pris en grande quantité qui enivre , c'est encore toute mauvaise passion que l'âme nourrit intérieurement. Ainsi il est ivre celui qui convoite une femme qui n'est pas la sienne et se livre aux prostituées; comme celui qui, ayant bu trop de vin pur, s'en va chancelant de droite et de gauche, proférant des paroles grossières et prenant une chose pour l'autre : ainsi l'impudique, rempli de cette concupiscence déréglée comme d'une sorte de vin pur, ne tient aucun propos sensé, ne prononce que des paroles honteuses, perverses, ignobles et ridicules; il prend aussi une chose pour une autre, et il est aveugle en face même de ce qu'il voit; il se représente partout à l'imagination celle qu'il convoite de déshonorer et, semblable à un homme qui délire et qui divague, il ne sort jamais de sa torpeur; dans les réunions, dans les festins, en tout temps et en tout lieu, nonobstant toutes les conversations possibles, il est comme dans un désert, il ne voit et n'entend rien. Tout entier à cette femme, il ne rêve que du péché; il se défie de tout, il craint tout, semblable à une brute stupide et endurcie aux coups de fouet. Celui que la colère domine est ivre aussi; son visage se gonfle, sa voix est rude, ses yeux s'enflamment, son esprit s'obscurcit et sa raison fait naufrage; sa langue tremble, ses yeux regardent de travers et ses oreilles entendent une chose pour l'autre, parce que, plus fortement qu'aucune espèce de vin pur, la colère frappe le cerveau , soulève une tempête et produit une agitation qui ne se peut calmer. Que si celui qui est dominé par la concupiscence et la colère est ivre, à bien plus forte raison l'est-il aussi, l'homme qui se livre à l'impiété, blasphème contre Dieu, se révolte contre ses lois, et ne veut jamais se désister de son obstination coupable; il est ivre, il est fou et dans une position plus misérable que ceux qui se livrent à l'orgie et n'ont pas la tête à eux, bien que lui-même ne paraisse pas s'en apercevoir. C'est le propre surtout de l'ivresse, de blesser la bienséance, sans en avoir le sentiment; ce qu'il y a de plus terrible dans la démence, c'est que ceux qui ont cette maladie ne savent pas même qu'ils sont malades : c'est l'état actuel des Juifs, ils sont ivres maintenant et ne s'en aperçoivent pas. Leur jeûne, il est vrai, est passé, ce jeûne plus honteux qu'aucune ivresse ; mais nous, ne cessons pas d'exercer notre sollicitude sur nos frères, et ne considérons pas comme une chose inopportune le soin crue nous en prendrons désormais; imitons les soldats : lorsque , dans le combat, ils ont mis en fuite les ennemis, et reviennent de la poursuite, ils ne courent pas aussitôt à leurs tentes, mais ils vont d'abord sur le champ de bataille , enlèvent ceux des leurs qui sont tombés, mettent en terre ceux qui ont été tués, et s'ils en aperçoivent parmi les morts qui respirent encore et n'ont pas de blessure mortelle, ils les portent dans leurs tentes, leur prodiguent les remèdes, retirent le trait, appellent des médecins, lavent le sang, appliquent les médicaments, en un mot prennent tous les soins que l'on peut prendre en pareil cas et ramènent ainsi ces blessés à la santé ; nous donc , de même, puisque par la grâce de Dieu nous avons poursuivi les Juifs en armant contre eux les prophètes, revenus de tous côtés voyons maintenant si quelques-uns de nos frères ne sont pas tombés, si quelques-uns n'ont pas été détournés du droit chemin par le jeûne judaïque, si quelques-uns n'ont pas communiqué avec les ennemis du nom chrétien, en célébrant leur fête; et ne jetons personne au tombeau , mais enlevons tous nos blessés , et guérissons-les. Dans les guerres proprement dites, quand quelqu'un est une fois tombé et a rendu l'âme il est impossible à ses amis de le rétablir et de le rappeler à la vie ; mais dans les guerres et les combats spirituels, quand quelqu'un a reçu une blessure même mortelle, nous pouvons, si nous le voulons, avec l'aide de la grâce de Dieu, le ramener à la vie. Cette mort, en effet, n'est pas comme la première, une mort de la nature, mais une mort de la volonté et du libre arbitre.
Or, une volonté morte se ressuscite: on persuade à l'âme qui a cessé de vivre de revenir à sa vie propre et de reconnaître son Maître.
