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Mais, pendant que je parle, il me vient à la pensée de rechercher et d'exposer pourquoi ayant confessé son péché, condamné ce qu'il avait fait, dit qu'il avait commis un crime trop grand pour en obtenir le pardon, et qu'il était sans excuse, pourquoi, dis-je, il ne put se purifier de ses fautes, malgré cette parole du Prophète : Confesse le premier tes iniquités pour être justifié (Is. XLIII, 26), pourquoi il fut condamné ? C'est parce qu'il ne les confessa point comme le Prophète l'ordonne. Le Prophète, en effet, ne dit pas simplement : confesse tes iniquités; mais: confesse le premier tes iniquités. Voici donc la solution cherchée : il ne faut pas simplement confesser, mais le faire de son propre mouvement sans attendre le blâme et les accusations. Or Caïn n'en n'usa pas de la sorte, mais il attendit qu'il fût réprimandé de Dieu, ou plutôt il nia, même après qu'il eût été réprimandé. Il n'avoua son péché qu'après que Dieu le lui eut reproché d'une manière claire et explicite, ce qui n'était plus une confession. Vous aussi, mes bien-aimés, quand vous avez péché, n'attendez pas qu'un autre vous accuse, mais avant que l'on vous défère au juge, condamnez vous-mêmes vos actes : Si vous attendez qu'un autre vous réprimande, la correction ne sera plus le fruit de votre confession, mais celui de l'accusation et de la réprimande. C'est pourquoi un autre écrivain sacré a dit : Le juste est son accusateur en premier lieu. (Prov. XVIII, 17.) En résumé, la chose essentielle, ce n'est pas tant de s'accuser soi-même, que de s'accuser soi-même le premier, et ne pas attendre la réprimande des autres. Après son reniement, Pierre se ressouvint aussitôt de son péché, et sans que personne l'accusât, confessa sa faute et la pleura amèrement, c'est pourquoi il en obtint l'absolution au point de devenir le premier des apôtres et de recevoir le gouvernement du monde entier. Mais ce que nous disions (car il faut revenir à notre sujet) se trouve par là suffisamment prouvé; concluons donc, qu'on ne doit pas négliger les frères tombés ni les mépriser, mais qu'il faut les prémunir avant le péché, et après le péché leur prodiguer les soins. Les médecins n'agissent pas autrement tant que les hommes sont encore bien portants, ils leur présentent ce qui peut leur conserver la santé et éloigner la maladie, mais qui quelques-uns ont négligé leurs ordonnances . et sont tombés malades, ils ne les délaissent pas pour cela; au contraire, ils montrent surtout alors beaucoup de sollicitude pour les délivrer de leurs maladies. Paul tient la même conduite à l'égard de l'incestueux de Corinthe ; après un tel péché, après une prévarication qu'on ne trouvait pas même chez les Gentils, il ne l'abandonna pas : cet homme eut même beau secouer le frein, refuser le remède, regimber, se cabrer pour ainsi dire, Paul, en habile médecin des âmes, le soigna et lui rendit la santé, et il l'y ramena jusqu'à le réunir plus tard au corps de l'Eglise. (I Cor. V.) Il ne dit pas en lui-même : à quoi bon ? que reste-t-il à faire pour le salut de cet homme? c'est un incestueux, il a commis un péché énorme, il ne veut pas renoncer au dérèglement, iI s'est enflé, il a une haute opinion 'de lui-même, il rend sa blessure incurable : laissons-le donc, et abandonnons-le. Bien loin d'en user ainsi, saint Paul déploya tout son zèle pour sauver ce malheureux, le crime hideux qu'il avait commis, au lieu de ralentir la charité de l'Apôtre ne fit que l'exciter davantage; et il ne cessa de l'effrayer, de le menacer, de le punir, mettant tout en oeuvre par lui-même et par d'autres, jusqu'à ce qu'il l'eût amené à reconnaître son péché, à sentir son iniquité, et enfin jusqu'à ce qu'il l'eût lavé de toute souillure. Faites de même: imitez le Samaritain de l'Evangile, si compatissant, si plein de charité envers le blessé qu'il rencontra. Un lévite, un pharisien étaient passés par là, et ni l'un ni l'autre ne s'étaient détournés vers cet homme qui gisait par terre; mais le laissant là impitoyablement et inhumainement, ils avaient continué leur chemin. Un Samaritain, un étranger ne passa pas ainsi en courant et sans tourner les yeux, mais il s'arrêta et, touché de compassion, il répandit l'huile et le vin sur les plaies du blessé, il mit cet homme sur son âne, le conduisit à une hôtellerie, donna de l'argent pour le faire soigner, promit d'en donner encore pour la guérison d'un homme qui lui était tout à fait étranger. (Luc. X, 30 et s.). Il ne se dit pas en lui-même qu'ai-je à m'occuper de celui-ci ? Je suis samaritain, je n'ai rien de commun avec lui; nous sommes loin de la ville et il ne peut pas même marcher. Mais, s'il ne peut supporter la longueur du voyage, qu'ai-je à faire d'apporter un mort, de me faire arrêter comme assassin et d'avoir à répondre de l'homicide qui a été commis par un autre? Il en est, en effet, dont cette dernière raison ralentit l'humanité; lorsqu’ils voient sur leur chemin des hommes blessés et respirant à peine, ils passent auprès d'eux encourant, non pour s'épargner la peine de les emporter ou pour éviter une dépense d'argent, mais parce qu'ils redoutent d'être traînés eux-mêmes au tribunal et d'avoir à porter la responsabilité du meurtre.
L'humanité du Samaritain ne fut pas arrêtée par ces considérations. Il mit le blessé sur son âne et le conduisit à une hôtellerie, au mépris de toutes les appréhensions de péril personnel et de dépense d'argent. Quoi ! un Samaritain a été si humain et si doux envers un homme inconnu, et nous pourrions espérer que notre négligence envers nos propres frères dans des maux plus grands nous sera pardonnée. Certes, ceux qui jeûnent maintenant sont aussi tombés entre les mains des brigands, des Juifs, plus cruels encore que les brigands, et qui font plus de mal à ceux qui tombent entre leurs mains. Sans doute, les Juifs ne dépouillent pas leurs victimes, ils ne blessent pas leurs corps comme firent les brigands dont il est parlé dans l'Evangile, mais ce sont les âmes qu'ils assassinent ; et après les avoir percées de mille coups, ils s'en vont, les laissant étendues dans la fosse de l'impiété.
