5.
Je ne dis pas seulement ces choses pour le jeûne actuel, mais encore pour une infinité d'autres péchés. Quant à nos frères pervertis par les Juifs, il ne faut pas tant nous occuper de savoir leur nombre, que de trouver le moyen de les ramener à nous. N'exaltons pas les succès de nos ennemis, ne rabaissons pas les nôtres; ne publions pas que leur état est florissant, et que nos affaires tombent en décadence, mais faisons tout le contraire. La renommée elle-même est capable d'abattre comme de relever une âme, d'inspirer une ardeur que l'on n'avait pas, et de détruire celle que l'on avait. C'est pourquoi je vous exhorte à accroître les bruits favorables à la prospérité de notre religion, et à sa grandeur, et à combattre ceux qui répandent l'opprobre sur le nom chrétien. Si nous entendons dire quelque chose de bien, répétons-le à tout le monde ; mais si c'est quelque chose de mauvais, cachons-le, et faisons tout pour anéantir un bruit fâcheux. Et maintenant donc allons de tous côtés, cherchons avec soin, voyons ceux qui sont tombés; quand même il faudrait entrer dans les maisons, ne balançons pas. Si celui qu'il s'agit de relever est un inconnu, quelqu'un qui vous soit tout à fait étranger, prenez partout des renseignements sur son compte , et tâchez de savoir s'il n'aurait pas quelque ami intime, dont l'influence vous serait d'un grand secours dans l'oeuvre de persuasion et de conversion que vous vous proposez ; prenez cet utile auxiliaire avec vous, et entrez dans la maison, n'ayez pas peur, ne rougissez pas. Si vous entriez pour demander de l'argent ou pour obtenir quelque faveur, la honte aurait sa raison d'être; mais puisque vous venez apporter le salut, l'objet de votre visite écarte tous les griefs et tous les soupçons.
Vous voilà en présence de voire homme, asseyez-vous à ses côtés et parlez-lui, en commençant par un autre sujet, pour ensuite amener adroitement et sans qu'on devine à l'avance vos intentions, l'occasion d'instruire votre frère et de redresser ses opinions erronées.— Dites-moi, approuvez-vous les Juifs de ce qu'ils ont crucifié Jésus-Christ, de ce qu'ils blasphèment maintenant contre lui et l'appellent prévaricateur? Il n'osera pas, s'il est chrétien, quelque zélé qu'on le suppose pour le judaïsme, il n'osera pas dire : Je les approuve; mais il se bouchera les oreilles et dira: A Dieu ne plaise ! ne blasphémons pas ! Alors, partant de ce point sur lequel vous êtes d'accord avec lui, reprenez et dites : Comment donc communiquez-vous avec eux, dites-moi ? comment participez-vous à leurs fêtes? comment jeûnez-vous avec eux? Puis, accusez-les d'ingratitude, et exposez-lui toute cette prévarication des Juifs dont j'ai entretenu votre charité les jours précédents, prévarication prouvée par des arguments tirés du lieu, du temps, du temple et des prédictions des prophètes ; montrez-lui que tout ce qu'ils font est inutile et hors de propos, qu'ils ne reviendront jamais à leurs premières institutions, et qu'il ne leur est permis de célébrer aucune cérémonie religieuse hors de Jérusalem. En outre, rappelez-lui l'enfer, le redoutable tribunal du Seigneur, les supplices des damnés; qu'il sache aussi que nous rendrons raison de nos intelligences avec les ennemis du Seigneur, et qu'un châtiment, qui ne sera pas petit, est réservé aux auteurs de tels attentats; rappelez-lui encore cette parole de Paul : Qui que vous soyez, vous qui cherchez votre justification dans la Loi, vous êtes déchus de la Grâce (Gal. V, 4), et la menace qu'il fait ensuite: Si vous vous faites circoncire, Jésus-Christ ne vous sert de rien. (Ibid. V, 2.) Dites-lui que le jeûne judaïque, comme la circoncision, exclut le jeûneur des cieux, quand même il aurait fait une infinité de bonnes oeuvres; dites-lui qu'on nous appelle chrétiens et que nous le sommes pour obéir à Jésus-Christ, non pour aller figurer dans les conciliabules de ses ennemis.
S'il vous allègue pour excuse certaines guérisons, et vous dit : Ils promettent de guérir, c'est pourquoi j'ai recours à eux ; découvrez-lui leurs prestiges, leurs enchantements, leurs amulettes, leurs poisons. Car ils ne guérissent pas par d'autres moyens ou plutôt ne guérissent pas en réalité; Dieu nous en garde ! Mais je vais beaucoup plus loin, et je dis que quand même ils guériraient réellement, il vaut mieux mourir que d'avoir recours aux ennemis de Dieu, et d'être guéri de la sorte. A quoi sert, en effet, de guérir le corps si on perd l'âme? Est-ce un profit d'obtenir en cette vie quelque soulagement passager, si l'on doit tomber bientôt dans le feu éternel? Dès longtemps ces artifices ont été dénoncés et condamnés, écoutez ce que dit Dieu : S'il s'élève parmi vous un prophète ou quelqu'un ayant un songe, et qu'il donne un signe ou un prodige, et que le signe ou le prodige annoncé arrive, et que cet homme prenne la parole pour vous dire Allons, et adorons d'autres dieux, vous n'écouterez pas ce prophète, parce que le Seigneur Dieu cous tente pour montrer si vous aimez le Seigneur votre Dieu, de tout votre coeur et de toute votre âme. (Deut. XIII, 1-3.) Voici ce qu'il veut dire : Si quelque prophète dit : Je puis ressusciter un mort ou guérir un aveugle, mais croyez-moi, adorons les démons, sacrifions aux idoles; quand même l'homme qui tiendrait ce langage aurait le pouvoir de guérir un aveugle ou de ressusciter un mort, ne le croyez pas pour cela, pourquoi ? parce que Dieu lui aura donné ce pouvoir pour vous tenter, non que Dieu ignore vos sentiments, mais il veut vous éprouver et vous fournir l'occasion de montrer si vous aimez réellement le Seigneur votre Dieu. C'est le propre de celui qui aime, de ne pas renoncer à l'objet aimé, même quand ceux qui s'efforcent de l'y faire renoncer présenteraient des morts ressuscités. Si Dieu a adressé ces paroles aux Juifs, à bien plus forte raison nous conviennent-elles à nous qui avons été appelés à une sagesse plus haute, à qui Jésus-Christ a ouvert la porte de la résurrection, et prescrit de négliger les choses présentes, pour tourner toutes nos espérances vers la vie future.
